On pourrait dire de la poésie d’Alain Suied (né à Tunis, en 1951, et traducteur de Dylan Thomas, Ezra Pound, William Blake…) qu’elle est de celle qui sorte du livre tant elle invite à s’écarter des chemins tout tracés. Après La Lumière de l’origine (1988), ou encore Le Champ de gravité (2002), voici L’Éveillée, dédié à sa mère. Des pages de deuil et de recommencement, d’écoute et de consentement. Adieu à la mère, à l’enfance et à tout ce substrat émotionnel qu’on devine cependant toujours en filigrane du regard que nous ouvrons sur le monde, l’ensemble du recueil semble rayonner à partir de ce point de vacuité absolu, autour de ce silence, de cette absence et de cette perte, à la fascination desquelles il faut échapper. « Regarde-nous, poussière/ de tes yeux d’éveillée ! (…) Dis-nous que la souffrance/ n’est pas une défaite/ mais le dernier seuil de l’amour./ Souffle sur nos yeux/ la poussière magique/ de l’oubli // comme/ une fée dans les contes/ de l’enfance répand vraiment/ le miracle du sommeil. »
Une poésie de la pensée vivante, du langage en mouvement, de l’être toujours en devenir. Une poésie qui traverse les apparences, accepte des moments de pure négation, mais surtout interroge, fait du « pourquoi ? » l’une des modalités fondamentales de l’être-homme. C’est une flamme de désir qui porte l’écriture d’Alain Suied vers « l’aurore de la parole vraie », vers la lisière de l’innocence « le dernier continent inexploré » ou vers l’inatteignable : « tel est le visage./ Et comme l’horizon, il brille/ presque dénué de sens/ nu, premier, natal ».
L’Éveillée de Alain Suied
Arfuyen, 135 pages, 13,5 €
Poésie Réouvrir les yeux
septembre 2004 | Le Matricule des Anges n°56
| par
Richard Blin
Réouvrir les yeux
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°56
, septembre 2004.