Étrange roman. Narré en cinq actes, comme La Tempête de Shakespeare dont il s’inspire librement, il nous emporte dans un voyage hypnotique aux songes mi-initiatiques, mi-surréalistes. Il s’agit d’une troupe de théâtre, The Great Will, que sa fidélité aux textes et à l’esprit du maître de Stratford-on-Avon, pousse contre toute raison à résister aux évolutions que le temps commande. D’abord fêtés et protégés par l’aristocratie, les acteurs doivent se résoudre à vagabonder pendant des siècles, jusqu’à ce qu’ils soient forcés de vendre leur bateau et s’embarquer avec un cirque depuis le canal de Panama, pour échouer parmi les Indiens de Terre de feu…
Grandeurs et décadence donc d’une troupe que l’on dirait fantôme :
« soudain nous vîmes dans notre bateau non plus l’ambassade itinérante d’un pays merveilleux, mais l’île sur laquelle nous allions à la dérive, exilés d’un pays qui n’était plus. Et nous prîmes conscience que l’œuvre de Shakespeare parlait une langue qu’en définitive plus personne ne comprenait. » Affirmation discutable…
On lit comme en lévitation ce roman trans-historique semé de personnages étonnants : le Comte Lord Axel, acoquiné avec un Russe qui le fournit en drogue, est uni par une « parodie de mariage » avec une Enfant à la recherche du « nom de son destin ».
Et même si l’on se demande quelle nécessité a poussé l’auteur (né en 1963) à fomenter ce livre qui semble clore son imaginaire sur lui-même, sa mélancolique fantaisie nous laisse longtemps embués. Étrangeté bien propre à faire espérer la parution en français, chez le même éditeur, de son recueil de nouvelles : Le Plaisir de la captive.
Angleterre, une fable de Leopoldo Brizuela
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Bernard Tissier, José Corti, 368 pages, 21 €
Domaine étranger Avis de tempête
octobre 2004 | Le Matricule des Anges n°57
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Avis de tempête
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°57
, octobre 2004.