Léna Léna est une petite fille qui appelle à ce qu’on la regarde. Elle est dans l’image comme le nez au milieu de la figure et sert de repère visuel à partir duquel tout s’articule. Léna Léna a un petit côté sagement exhibitionniste, une vie émotionnelle, physique et intime intenses. Les Aventures de Léna Léna, c’est la mise à nu de l’illustration et du texte pour mettre les sens en éveil et laisser le lecteur s’approprier la narration. Pour ce faire, Harriët van Reek ne s’embarrasse pas des effets de crayon. Elle travaille dans l’épure, le minimal : le trait est fragile et légèrement tremblé, les dessins sont enfantins, dénués de détails, les décors sont quasi inexistants. Les textes, mis en regard des illustrations, sont courts et commentent les scènes circonscrites dans des cases identiques (gaufriers) plus qu’ils ne racontent une histoire. Les mots amènent ainsi invariablement aux images. N’existerait presque que le dessin pour lui-même, sans modèle et qui pourrait se passer des textes parfois décalés, dont les phrases sans attaches, sont comme en apesanteur. En niant la distance entre le texte et l’image et dans le texte et dans l’image, l’auteur jouit d’une liberté de composition quasi totale. Les Aventures de Léna Léna n’est jamais situé dans l’espace et dans le temps. Le personnage de la petite fille est tantôt flottant dans la case, en avant-plan, à la fois proche et lointaine et contraste avec les formes géométriques strictes des gaufriers, comme une mise à distance avec le lecteur qui permet de révéler l’intimité de Léna Léna. Ainsi, lorsque Léna Léna et son amie Marie « se reposent au soleil » après avoir nagé nues. « Léna Léna dispose de l’herbe sur le dos de Marie, des petits cailloux et deux brindilles. C’est très joliment fait. Marie apprécie. Léna Léna lui passe une brindille entre les fesses. » Cette scène évoque une dimension sensuelle sans cesse présente dans l’album : celle du rapport du corps à l’espace, à la matière, au goût, au toucher, à l’odorat… Lorsqu’il pleut « Léna Léna goûte la pluie avec sa langue. C’est délicieux. Elle en remplit une tasse à thé. Du thé parfumé à la pluie. » Des plaisirs charnels trop souvent absents des livres pour enfants (dans les rares exemples que l’on peut citer, on se souvient des Chatouilles de Christian Bruel aux éditions Le sourire qui mord) et qui sont des éléments primordiaux de leur vie enfantine.
En mettant en place un système de narration séquentiel et elliptique, Harriët van Reek laisse au jeune lecteur une grande liberté d’interprétation. Les Aventures de Léna Léna est un album qui ouvre des perspectives d’autres lectures des images possibles que celles suggérées par le récit. Rappelons-le, les gaufriers sont vierges de texte. À loisir pour le lecteur d’imaginer, de métamorphoser Les Aventures de Léna Léna à sa guise, de se raconter sa propre histoire. Il est ici en promenade, une promenade qui n’a d’autre but qu’elle-même.
Les Aventures
de Léna Léna
Harriet Van Reek
Traduit du néerlandais par Séverine Lebrun
et Christian Bruel
Éditions Être
Non paginé, 14,50 €
Jeunesse Du côté des petites filles
novembre 2004 | Le Matricule des Anges n°58
| par
Malika Person
Les Aventures de Léna Léna est un album à la hauteur de son audace : une introduction à la fois facétieuse et sérieuse à l’art.
Un livre
Du côté des petites filles
Par
Malika Person
Le Matricule des Anges n°58
, novembre 2004.