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Poésie Les perles de la perte

novembre 2004 | Le Matricule des Anges n°58 | par Richard Blin

On dirait qu’il regarde le monde comme s’il n’était qu’un songe des mots. Franck André Jamme, un poète debout face au vacillement des apparences.

Extraits de la vie des scarabées

La Récitation de l’oubli

La poésie de Franck André Jamme (né en 1947, grand voyageur et spécialiste des arts tantriques et tribaux de l’Inde contemporaine) relève de l’art de filtrer l’eau des jours, de n’en retenir que ce qui est digne d’une écoute. C’est sans doute la raison pour laquelle ses proses, ses poèmes donnent l’impression de s’insinuer si facilement en nous. Une voix qui coule, s’écoule, limpide, légère mais faussement transparente. « C’est/ sans appui que l’on profère./ Tout vient par le ravissement ».
Des poèmes qui reflètent le sens mystérieux du simple. « Rien ne semble plus le mystère que le simple, celui dont le chant est enfoui, qui ne se manifeste pas ». Du temps tamisé, des épiphanies, des croquis de voyage, des ébauches de territoire des songes. Des miettes d’idées « avec leurs joues si vertes, de fruits tombés de l’arbre sans avoir au fond jamais eu ni le temps ni la chance de mûrir ». De la pensée « sauvage », c’est-à-dire s’avançant nue, sans décorum ni vêtement de certitude. Des précipités de pensées qui sont autant de mises à l’épreuve de la dimension existentielle du sens. « Est-ce que tu penses vraiment que l’arbre dans la cour n’existe plus quand tu dors ? » Interrogation sur la réalité des choses celles de l’esprit, des yeux, des mains. Retour à l’état d’innocence, de surprise. « Il se demandait s’il existait des fleurs qui s’ouvraient quand on les appelait par leur nom » ou s’il existait « des pendules qui relâchaient un peu le mouvement quand on les appelait par leur nom ». Une façon d’être qui conduit à écrire non pour définir mais plutôt pour indéfinir, et dont on peut retrouver un écho dans chacun des titres que redonne à lire le volume publié par les éditions Flammarion. Absence de résidence et pratique du songe (1985), La Récitation de l’oubli (1986) et Un diamant sans étonnement (1998).
Autant de postures face au monde. « Je n’ai qu’envie de dire le monde tel qu’il vient, de ne rien ajouter à la vue. Le moins de poussière possible sur le miroir ». S’alléger au maximum, s’oublier pour se rendre réceptif à l’onde de ce qui est. « Peut-être ne s’agit-il que de capter la plus perdue, la moins pensable ». S’ouvrir à l’infini qui « dort dans le langage », donner voix à l’ombre portée de ce qui vient dans l’instant, tout autant qu’à ces étranges paroles venues du plus profond de nous-mêmes « et que nous ne pouvons pas penser », comme dans Un diamant sans étonnement, un livre venu en une seule nuit sans que son auteur eut un instant « l’impression d’écrire, mais juste d’écouter et de noter ». Il y a là une forme de dilatation de la conscience dont témoigne aussi La Récitation de l’oubli. « L’esprit aussi s’assouplissait :/ il pouvait quelquefois prendre/ la forme des objets, vraiment les/ dire. Mais si la peur forçait le seuil,/ il retournait à son argile,/ se penchait vers son ange : / « Tu dors, lui disait-il, pas les/ choses. Essaye de t’éveiller./ Montre-toi, au moins une fois,/ que je me pose enfin. » Et l’autre/ ne répondait pas, ne semblait/ plus qu’un remous. Pourtant/ tous deux étaient le monde,/ son unique question ».
Dépossession de soi dans l’unité, autant que question consumant toute réponse, le poème naît de ce point d’évidemment, de ce trou d’étonnement où dedans et dehors, origine et fin se défient, s’entre-éclairent dans la nudité aromale d’une pure présence. Ce qui fait dire à Franck André Jamme que le mystère du poème « réside moins dans le lieu, le moment et l’état exacts où il se produit que dans l’au-delà de sa résonance, dans cette sorte d’onde qu’il laisse, ensuite, au plus profond de chacun ».
C’est cet espace vibratoire, cette musique de ce qui affleure entre visible et silence qui fait la trame et la beauté des Extraits de la vie des scarabées. Tout part d’une soirée entre amis où il ne se passe rien de très remarquable si ce n’est l’apparition dans l’air, au-dessus des têtes, chaque fois que cesse le dialogue, d’une sorte de nuage de mots et de pensées, constitué de tout ce qui n’a pas été dit quand ils parlaient. Circulant alors dans le silence des esprits, les flux se mêlent et font entendre, en contrepoint des conversations, tout ce que l’on ne sait pas qu’on dit.
Chaos séminal de pensées passagères, d’aphorismes (« Le tout, ce n’était pas tellement d’ouvrir les portes, c’était de les empêcher ensuite de se refermer »), de questions, de silences (« Le silence n’a souvent rien à faire avec les oreilles. Surtout, il permet de voir »). Suite de modulations musicales tissant et détissant le voile qui nous sépare des réalités du non-dit ou du visible en attente sous ce qu’on perçoit. Tapisserie de différenciations, de réflexions, de ruminations, ponctuée de listes comme celle-ci : « Les dieux repoussants, les stances étonnantes, l’ineffable senteur de n’importe quel placenta, les nerfs qui tirent sur le corps entier, les amours muettes de l’huile et de l’eau ». De l’humour, de la dérision, du relatif souvent mâtiné d’impuissance. « Souvent, face au monde, il sentait dans son esprit comme la morsure d’un lion sur une pierre. Mais qui était le lion ? Qui la pierre ? »
Jeu d’échos, exercices d’éveil, approche dansée de l’inexprimable sur fond de perte. « Il avait noté un tel fossé entre la chose formulée en nous-même et le résultat sous nos yeux. Et le résultat dans nos bouches. Un tel écart. Plus proche au fond de la réduction que du retard : tout un monde devenu nain, soudain, presque instantanément ». Deux livres donc, qui illustrent la magnifique énigme qu’est la poésie quand les mots qui tentent de l’incarner n’enfilent que « les perles de la perte ».

Franck André Jamme
Extraits de la vie
des scarabées

Melville éditeur
104 pages, 11
La Récitation
de l’oubli

Flammarion
200 pages, 18

Les perles de la perte Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°58 , novembre 2004.
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