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Domaine étranger Les fascinations de Schulz

janvier 2005 | Le Matricule des Anges n°59 | par Marc Blanchet

La publication des Œuvres complètes, du Livre idolâtre et d’un catalogue de dessins nous permet de découvrir l’intégralité d’un parcours artistique essentiel du XXe siècle, riche d’obsessions et de fantasmes.

Œuvres complètes

La République des rêves

Le Livre idolâtre

Ce sont d’abord des premières phrases lumineuses : « Au mois de juillet, mon père partait aux eaux et nous laissait, ma mère, mon frère aîné et moi, en pâture aux journées d’été, blanches de feu et enivrantes. Nous feuilletions, étourdis de lumière, le grand livre des vacances, dont chaque page scintillait de soleil et conservait tout en son fond, sucrée jusqu’à la pâmoison, la pulpe des poires dorées. Aux matinées lumineuses, Adèle, telle Pomone, revenait du feu du jour embrasé et vidait sa corbeille de toutes les beautés colorées du soleil. » Tout est là : un père omniprésent, une famille entre indolence et pouvoir des saisons, et le monde comme un livre à déchiffrer, pour peu que nos sens enivrés y parviennent. Dans cet univers, une autre étoile, à la lumière trouble et diffuse : Adèle, « domestique », incarnation du désir et femme insaisissable.
Aux nouvelles de Bruno Schulz, il faudrait, après ces journées lumineuses qui ouvrent Les Boutiques de cannelle qui constitue aux côtés du Sanatorium au croque-mort et une œuvre de dessinateur l’essentiel de l’œuvre ajouter un autre élément, une autre dimension : la Nuit. Une nuit profonde et rêveuse où les métamorphoses se multiplient, où les miracles surgissent et s’évanouissent. Avec, en son sein, la Ville, qui, elle aussi, change de visage afin d’épouser ou d’éloigner les désirs en cours.
La publication des Œuvres complètes de Bruno Schulz (1892-1942) réunit fictions, essais et correspondance. Parallèlement à cette œuvre écrite, la parution du Livre idolâtre, repère central des dessins, et du catalogue de l’exposition Bruno Schulz, la république des rêves, qui s’est tenue récemment au Musée d’Art de d’Histoire du Judaïsme de Paris, nous permettent de saisir aujourd’hui dans son intégralité une œuvre dont écriture et dessins se complètent, mais qui pourtant, par sa nature aussi précise que délirante, demeure insaisissable. Il y a toujours dans ces textes une vigueur, une folie, une démesure où chaque élément, chaque humain, chaque instant possède en lui l’énergie originelle d’un enchantement, sans jamais offrir d’image complaisante et ne se déclinant qu’en vertige, vibration, ou fascination.
Les courts récits de Bruno Schulz, comme ses dessins, ne cessent d’être la mise en scène d’un monde fantasmé, d’une ville qui multiplie le labyrinthe des chambres et des rues pour que le merveilleux fût-il fait d’animaux rampants, de visions soudaines ou de femmes perverses puisse resplendir, que l’étonnement propre à l’enfance, qui puise son origine dans les contes et ouvrages populaires, ne vive pas la grande Littérature comme un lieu de trahison.
La ville de Schulz s’apparente autant à celle de sa Galicie natale (qui appartint à la Pologne et est aujourd’hui ukrainienne) qu’elle verse parfois dans l’atemporalité, devenant la ville ancienne raillée par la modernité, perdant son âme première sans pour autant perdre son mystère : la ville prend alors des allures de prostituée tentante.
La ville chez Schulz est à l’image de l’écriture : un lieu de fascination, qui convoque la mémoire comme l’ironie. Parmi ces ruelles et ces boutiques, la figure du Père est le lieu de l’échec et des possibilités. Le narrateur ne cesse de pousser sur l’échiquier des formes cette présence insolite, qui peut autant accueillir le monde dans une demeure changée en arche de Noé que devenir un insecte, une métamorphose que le monde des convenances nous demande de ne plus considérer.
Dans cette existence polymorphe, une fidélité demeure : que le monde soit encore comme un livre ouvert enfant, un livre que l’on réinventera si les changements de ladite modernité veulent nous l’enlever. En miroir de ce Livre d’heures, Bruno Schulz s’applique à délivrer d’autres images : des dessins, reproduits dans le catalogue de l’exposition Bruno Schulz, la république des rêves et Le Livre idolâtre.
Les désirs envers la gent féminine y sont représentés encore plus visiblement, mais peut-être pas plus « clairement » : dans les dessins en noir et blanc de Schulz, on s’agenouille devant la femme, on subit son autorité avec une jubilation affichée. En léchant le pied de ces maîtresses, peut-être aura-t-on accès à ce mystère sombre qui se tient plus haut.
Larvés, pliés, recroquevillés devant la Femme, les hommes de Schulz semblent se sentir divinement bien. C’est cet univers fait de deux faces que ces publications nous proposent. Serge Fauchereau, maître d’œuvre de ces trois livres, invite à une méditation essentielle dans Le Livre idolâtre, où Schulz développe sa fascination du monde féminin.
Bruno Schulz, la république des rêves garde trace de l’ensemble de l’œuvre graphique, suite à la belle exposition de Paris. Essayistes polonais et français témoignent dans leurs textes de cette œuvre plastique que les livres du Polonais reflètent sans les dupliquer. Avant d’être abattu par un officier nazi en 1942, Bruno Schulz n’aura cessé de poursuivre le plus fidèlement ce monde d’obsessions et de fantasmes, avec cette curieuse et émouvante jubilation qui lui est propre et qui a porté ses textes et ses dessins à un niveau tel de finesse et d’intelligence qu’ils font de lui un des auteurs les plus réjouissants du XXe siècle.

Bruno Schulz
Œuvres complètes
Sous la direction
de Serge Fauchereau
Traduction collective
822 pages, 27
Le Livre idolâtre
221 pages, 40
Bruno Schulz,
la république
des rêves

Collectif
221 pages, 35
Éditions Denoël

Les fascinations de Schulz Par Marc Blanchet
Le Matricule des Anges n°59 , janvier 2005.
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