Un livre

Une histoire vieille comme la pluie

de Saneh Sangsuk

Editions Seuil

Sous l’assaut des lotissements, des rizières et des golfs, la jungle se rend et emporte dans son naufrage des adultes hagards, découragés. À ceux-ci, la voix de la jungle ne parle plus, restent les enfants, libres encore de tout renoncement, avides de merveilleux. C’est à eux qu’elle s’adresse par l’entremise du révérend père Tiane, le bonze de 93 ans, encore vert et vigoureux mémoire de ses entrelacs et de ses sortilèges. D’une voix séculaire de barde, il égrène les épisodes d’une épopée tragique, celle de la rencontre de l’homme avec lui-même, une histoire vieille comme la pluie, à laquelle l’auteur thaïlandais Saneh Sangsuk, auquel on doit déjà le fulgurant Venin, prête une langue qui n’a rien à envier ni à Melville ni à Conrad, tissant la trame d’un thriller surprenant et glaçant. À mi-chemin entre Au cœur des ténèbres et Moby Dick, la vie du père Tiane, enfant puis jeune homme, se dessine lentement, le récit prend forme comme par accident, au détour d’une anecdote, d’un tigre de plus, un tigre de trop, un tigre maudit, le tigre saming habité d’une âme humaine et revancharde, errant dans les fourrés en quête de festin. Et comme fasciné, le lecteur, détourné du foisonnement de légendes imbriquées s’engage sans le savoir dans une allée majestueuse pour une promenade frissonnante, sombre et bouleversante.

Une histoire vieille comme la pluie
de Saneh Sangsuk
Traduit du thaï par Marcel Barang,
Le Seuil, 225 pages, 18 €