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Intemporels Le monde du dedans

janvier 2005 | Le Matricule des Anges n°59 | par Didier Garcia

Camp après camp, l’odyssée d’un prisonnier au pays des Tordus. Raymond Guérin, de l’expérience intime à la farce littéraire.

Raymond Guérin naît à Paris en 1905 naissance banale, comme le sera d’ailleurs sa vie : vagues études de droit, pendant lesquelles il s’amuse à tutoyer le ballon ovale, puis loufiat dans des palaces parisiens, agent d’assurance, avec, çà et là, quelques voyages, à Capri notamment, où il fréquente Malaparte. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, qui le condamne à trois ans de captivité dans un camp de représailles en Allemagne, rien de bien singulier dans cette vie qui s’achève en 1955.*
C’est en 1927 qu’il fait son entrée en littérature, fondant alors La Revue libre, à laquelle collabore, entre autres, Maurice Fombeure. Quant à son premier volume, Zobain, il paraît en 1936 chez Gallimard. Au final : l’amitié de Henri Calet, une notoriété en demi-teinte, et une œuvre essentiellement romanesque, dont les quelque vingt titres sont pour la plupart introuvables aujourd’hui.
Publié pour la première fois chez Gallimard en 1953, réédité en 1983, Les Poulpes constitue le troisième et dernier volume de Ébauche d’une mythologie de la réalité, après L’Apprenti et Parmi tant d’autres feux…, publiés eux aussi chez Gallimard en 1946 et 1949. C’est le récit « fantasmagorique » des trois ans de captivité du Grand Dab et de son retour à Paris en 1944.
Dans des lignes liminaires qui valent à elles seules le détour, Guérin avertit ses lecteurs : pour son plaisir, il a écrit un « livre de dérision totale », et « il faudrait quinze jours pour lire posément cet ouvrage et autant pour y repenser à loisir. Que ceux donc qui n’ont pas un mois à perdre passent leur chemin ! » Un mois, c’est quand même beaucoup dire. Mais pour ce qui est de la dérision, on est servi. « Quelle affure ! » en effet… Le Grand Dab a troqué son statut de soldat gradé pour celui, moins enviable, de prisonnier. Il se trouve en captivité de l’autre côté de l’Achéron (fleuve des Enfers qui enlaidit ici le Rhin), chez les Tordus (entendez les Allemands), qui menacent les Plum-Pudding de l’autre côté du Channel (on est donc en 1940). En France, le Vieux Baveux a décidé de copiner avec le Petit Caporal Sanglant et le Matamore (Pétain, Hitler et Mussolini). Autour du Grand Dab, quelques histrions d’envergure : Face-de-Fesse, Bite-en-Bois, Domisoldo, Jésus-qui-se-Touche, et bien d’autres. Au fil des pages, Raymond Guérin décline des scènes de la vie quotidienne : transferts d’un camp à un autre (prisonniers parqués comme du bétail dans des wagons), brimades, corvées, appels nocturnes sous la neige, tentatives d’évasion, humiliations. Évidemment, on vit chaque jour avec l’espoir que la guerre s’achève. Et avec plus ou moins de patience, chacun ronge son frein.
En vertu de la convention de Genève, le Grand Dab revendique soudain le droit de ne pas travailler. Et il l’obtient, et avec lui ses compagnons d’infortune, qui deviennent ainsi des réfractaires. N’ayant absolument plus rien à faire, pour tenir, il leur faut dormir, rejoindre au plus vite « l’ombre enchantée » de leur passé. Durant ses rêves, le Grand Dab redevient ce Monsieur Hermès présent dans L’Apprenti, qui vit des heures délicieuses aux côtés de Delphine à Capri ou en Grèce. Des rêves qui lui permettent de quitter son ergastule, et de retrouver mentalement le monde du dehors. Dormir, à moins d’observer leurs gardiens, avec « une passion d’entomologiste ».
Quand la libération se fait proche, le camp s’enrichit de Ruskis et de macaronis (Russes et Ritals). Le quotidien s’améliore, même s’il s’organise autour des alertes et des sirènes (le débarquement n’est plus très loin). Et le jour tant attendu finit ainsi par arriver : lorsque le train le ramène à Paris, il garde les yeux ouverts pour enregistrer les sensations « de l’homme qui revient à la vie » (en réalité, il n’y reviendra pas, le monde du dehors lui restant à jamais fermé).
Ainsi présenté, ce long roman risque de passer pour banal. Il ne l’est pas. Raymond Guérin y réalise un véritable tour de force, car en dépit de ce que chacun peut vivre, Les Poulpes ne côtoie jamais ni le pathos ni la sensiblerie. Mieux encore : on y rit. Sa dérision est telle qu’on en oublie l’horreur (un traumatisme que Guérin a pourtant vécu). La langue y est pour beaucoup : une langue proche d’un Céline ou d’un Rabelais, riche en tournures orales, en calembours et contrepèteries. Mais c’est la distance ironique, matinée de désinvolture, qui fait l’essentiel, contaminant jusqu’aux anecdotes qui y sont relatées. Un jour, par exemple, un détenu tente de s’évader. En Suisse, il tombe sur un autre prisonnier conduisant une charrette tirée par deux vaches et rentrant chez son Tordu. Il lui suggère de se faire la belle à deux. « Eh bien, sais-tu ce qu’il m’a rétorqué, l’empafé ? Qu’il pouvait pas, oui, qu’il pouvait pas faire ça à son plouc, que ça serait pas correct, qu’il devait d’abord lui ramener ses vaches. Officiel ! » Stupidité ? Syndrome de Stockholm (celui qui vous fait pactiser avec votre ravisseur) ? Plus simplement : la nature humaine, dans toute son ampleur, et dans toute sa misère.

Les Poulpes
Raymond Guérin
Le Tout sur le Tout
(59, avenue des Deux-Châteaux
77 400 Gouvernes)
576 pages, 23

* Une très bonne lecture : 31, allées Damour, Raymond Guérin 1905-1955 de Jean-Paul Kauffmann, Berg international/La Table Ronde, 352 p., 20

Le monde du dedans Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°59 , janvier 2005.
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