Il en va des morts comme des vies : paisibles ou tragiques, elles respirent la politesse, la solitude ou la douleur, voire l’ironie. Sacha Guitry ne demanda-t-il pas de mourir maquillé. À l’hôpital Nestlé de Lausanne, Nabokov songea au vol d’un papillon. Tchekhov offrit une coupe de champagne à son médecin. Maupassant, le cerveau usé, agonisa comme un chien, « aboyant et bavant ». Tolstoï, fuyant sa famille, passa « marbre de son vivant » dans la chambre d’un chef de gare. Tsvetaïeva ajusta le nœud de la corde, cinq jours après avoir sollicité un emploi de laveuse de vaisselle.
De Montaigne à Truman Capote, de Pascal à Vialatte, Michel Schneider convoque ici les derniers instants, les ultima verba de trente-six écrivains de son Panthéon. Plus qu’un livre funéraire, il s’agit, dans les marges ombreuses, d’une relecture de notre patrimoine littéraire. Infatigable biographe à l’érudition discrète, l’essayiste se mue en conteur d’histoires « plus ou moins inventées, banales ou fulgurantes ». Il croise les témoignages, il explore les correspondances et les œuvres puisque « c’est là que leur mort est racontée », puisqu’ « un écrivain est quelqu’un qui meurt toute sa vie, à longues phrases, à petits mots. » Il ressort de cette plongée dans les ténèbres une sourde émotion, et la plus belle des invitations : (re)découvrir des fabriques de littérature à jamais vivantes.
Morts imaginaires de Michel Schneider Folio, 410 pages, 7,50 €
Poches Tombeaux vivants
février 2005 | Le Matricule des Anges n°60
| par
Philippe Savary
Un livre
Tombeaux vivants
Par
Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°60
, février 2005.