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Domaine étranger Autopsie d’un ennui

avril 2005 | Le Matricule des Anges n°62 | par Dominique Aussenac

Dans un roman aux allures de polar métaphysique, la Portugaise Dulce Maria Cardoso décrit le quotidien rapiécé, les rêves ravaudés, jusqu’à la folie.

Il est des êtres englués dans leur présent, entravés par le passé, prisonniers de leur futur. Ces êtres-là, invisibles, ne portent pas de nom. Tel le héros de Cœurs arrachés, dont le titre originel Campo de sangue (Champ du sang) désigne le terrain acheté par les prêtres avec l’argent de la trahison de Judas. Du coup, le champ du sang fut utilisé comme lieu de sépulture des étrangers. Cette trahison a-t-elle engendré une malédiction ? Pas forcément, mais le nombre de citations tirées de la Bible qui parsèment cet ouvrage développe un climat lugubre, augurant d’un drame. « Car les pensées des mortels sont timides, et instables nos réflexions ; un corps corruptible, en effet, appesantit l’âme. Sg 9, 14-15 ». Toujours est-il que bon nombre d’humains, baiser de Judas ou pas, paraissent étrangers à eux-mêmes, étrangers à ce monde et enterrent leur vie dans des champs de sang singuliers. Notre héros enterre la sienne dans une pension de famille, promise à la démolition. Promiscuité, remugles domestiques et mensonges. Pour tous, il représente le brave garçon, par excellence. Pour sa logeuse, pour sa mère, il exerce la profession de comptable, accablé de travail. Dans la journée, il est toujours dehors à traîner. Son ex-femme l’entretient, elle a divorcé pour un mari plus pratique, mais a gardé de l’affection pour lui. Tout aurait pu continuer ainsi s’il n’avait eu la faiblesse de tomber amoureux d’une très jolie jeune fille ou plutôt de s’inventer un amour fou comme d’autres changent de destin. S’ensuit une quête amoureuse où la jeune fille prendra différents aspects et l’homme sombrera peu à peu dans la folie. Une folie d’abord quasi domestique, avec jalousie intégrée, puis ponctuée d’un acte monstrueux. Mais n’est-il pas mythologique ?
Si ce premier roman développe un pessimisme radical et convoque Kafka, Gogol, Simenon, ou autres Gustav Herling, cela tient autant au thème qu’à sa construction. Le récit alterne pérégrinations du personnage principal et confrontation à huis clos, dans les locaux de la police, des quatre femmes, la mère, la logeuse, l’ex et la jolie jeune fille, étrangères les unes aux autres, pleines d’animosité. Ne portent-elles pas le levain du drame ? La sécheresse de leur vie, l’impersonnalité des lieux, l’enfermement dans ces locaux administratifs, le fait qu’elles n’arrivent pas à expliquer le drame contrastent avec les errances de l’homme, ses quêtes, les retours en arrière, le sentiment amoureux qui le pousse si loin. Se pose alors l’éternelle question de la liberté. Peut-on être libre ? Qui dans ce récit est vraiment libre ? Le héros, son amour, son geste fou ? Les quatre femmes ? La mère accrochée à son chapelet, la logeuse à sa pension, l’ex-femme à ses souvenirs, à son amour pour cet homme, la jolie jeune fille, la main sur son ventre rond ?
La réitération narrative jusqu’au ressassement introduit le lecteur dans une sorte de jardin des Ténèbres, résonnant de lourds requiems où il peut percevoir toutes sortes d’hallucinations. Les vies du héros et du lecteur sont ainsi mises en perspective, leurs vides et leurs pleins s’emboîtant parfaitement. Que nous dit cet ouvrage ? Que vivre est un acte vain ? Que le mal est ontologiquement en nous ? Que le monde n’est qu’une vallée de larmes ? Peut-on encore croire à la rédemption ? Des questions, de toute éternité sans réponse.
Dulce Maria Cardoso, Marie si douce, a écrit là un terrible et magnifique ouvrage, sombre, glacial comme un hiver nucléaire, favorisant un salutaire examen de conscience. De là à prétendre que l’origine spirituelle de l’Europe n’est que lugubrement catholique, il y a un fossé que certains heureusement ne franchiront pas. Nous ne sommes pas tous des Européens du ressentiment.

Cœurs arrachés
Dulce Maria Cardoso
Traduit du portugais par Cécile Lombard
Phébus, 270 pages, 19,50

Autopsie d’un ennui Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°62 , avril 2005.
LMDA PDF n°62
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