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Histoire littéraire Les années Carnaval

juin 2005 | Le Matricule des Anges n°64 | par Didier Garcia

Pendant la moitié de sa vie, Mireille Havet a tenu son « Journal », dont voici le premier tome. Portrait d’un poète déchiré entre l’amour des femmes et l’abus des drogues.

Journal 1919-1924

La « petite poyétesse », ainsi qu’Apollinaire la nommait, aura donc peu vécu (1898-1932), elle qui à 18 ans trouvait la vie « d’une prodigalité presque effrayante ». Elle aura surtout été en avance à peu près pour tout. C’est sa singularité. En quelque sorte sa signature. À 14 ans, alors qu’elle vient de se mettre à écrire des poèmes et des textes en prose, elle s’amourache de Paul Fort. Quand elle commence son « journal-monstre », selon le mot de Philippe Lejeune, quand elle entame une correspondance avec Apollinaire et publie sa première nouvelle dans Les Soirées de Paris, elle n’a encore que 15 ans. Dix ans plus tard, elle a déjà publié toute son œuvre, à savoir un recueil de nouvelles, accompagné d’une lettre-préface de Colette (La Maison dans l’œil du chat, 1917), et ce roman « fait en 15 jours », Carnaval (1922), qui tint d’ailleurs quelque temps sur la liste du Goncourt. Enfin, six ans avant sa mort, probablement dans un accès de délire, elle se laisse à décrire son enterrement, et les faire-part qui annonceront sa propre disparition.
Le Journal de cette opiomane et homosexuelle embrasse la moitié de sa vie. Il court de 1913 à 1929. Claire Paulhan a opté pour une présentation intégrale en trois volumes, après un coup d’essai réalisé en 2003 avec les seules années 1918-1919 (un coup d’essai destiné à présenter en douceur Mireille Havet au lectorat français). Le premier volet de cette nouvelle publication couvre les années 1919-1924, une période qui s’ouvre sur sa déception amoureuse avec celle qu’elle nomme « l’empoisonneuse », Madeleine de Limur (relation dont elle a fait la matière de Carnaval qui reparaît chez le même éditeur), et qui s’achève à la veille du dernier grand amour de sa vie : Reine Bénard. Période donc de transition, marquée pour l’essentiel par la mort de sa mère, la rédaction de son roman, et sa relation avec la jeune veuve de l’aviateur Roland Garros : Marcelle Garros.
Mireille Havet appartient à une génération que la Guerre a mutilée : elle lui a enlevé Alain-Fournier et Apollinaire. Une génération qui va bientôt perdre Barrès, le jeune Radiguet, et qui va faire des Années folles le paradis des plaisirs artificiels, avec son arsenal de drogues, de scandales et d’amours sulfureuses. Durant ces années du Bœuf sur le toit, tout est permis. Ce monde Ouvert la nuit, pour reprendre à Paul Morand un des titres qui firent son succès, autorise Mireille Havet à revendiquer son inversion et à vivre publiquement sa préférence pour le sexe faible. Mais elle y découvre aussi que « la vie est un mensonge, la vie est une mascarade. Je voudrais pouvoir appeler tous mes livres « Carnaval ». Ce nom seul convient aux récits de la vie ». Le Journal progresse ainsi de carnaval en carnaval, et plus encore au gré des soirées qu’elle passe à fumer du « kief », comme le mot s’orthographiait dans les vers d’Apollinaire, ou à prendre de la coco, « la poudre brillante qui allège la vie » ce qui n’est pas si sûr : elle suicide plutôt l’être qu’elle aurait dû devenir, à savoir cet écrivain précoce en lequel on avait fondé de grands espoirs, mais qu’elle ne parvient jamais à incarner, incapable qu’elle est de se poser sur une page. Son œuvre, inconnue de son vivant, restera donc son Journal.
Mireille Havet n’y tient pas que la chronique de ses amours (il rappellerait alors celui d’Anaïs Nin, ce qui ne serait déjà pas si mal). Pendant ces années, elle effectue quelques voyages, qui constituent autant de pauses dans sa vie sentimentale. Le plus souvent, ses escapades la poussent vers l’Auvergne, le Midi, ou sur les bords de la Méditerranée. Et c’est précisément lorsqu’elle s’arrête, lorsqu’elle délaisse la vie parisienne et qu’elle se détourne de sa propre vie pour considérer ce qui l’entoure, que son Journal devient le plus brillant. Et pour le coup, plus seulement intime, mais vraiment littéraire. Dans ces pages où elle se laisse à parler du temps qu’il fait, des fleurs, des arbres, du paysage, son écriture se délie, se fait plus ample, acquiert en somme un nouveau souffle. Elle y démontre, par exemple, une grande aptitude à peindre des marines : « La mer est blanche dans la rade, c’est un métal pâle, comme le platine, à peine ridé, où la lumière glisse, traînant du bout de ses rayons des rubans plus vernis qui sillonnent ». Mais le véritable enchantement de cette période, c’est l’île de Capri, découverte en 1923. Cette île est faite pour elle. Elle va jusqu’à y voir une patrie pour « les invertis et les poètes ». Là encore, son Journal évolue : plutôt que d’y consigner ce qu’elle vit là-bas au jour le jour, elle revient sur son séjour après coup, dans de longs développements narratifs qui rappellent le Stendhal du Journal. Et comme chez son illustre prédécesseur, les pages se lisent alors comme un roman.
Pour le reste, ce Journal est fait d’à peu près tout ce qu’est une vie. Vous y trouverez une poignante évocation de la « nuit décisive » de sa défloration (qui lui laisse à jamais le sexe fort en aversion), des considérations sur l’écriture et sur le travail du poète. À l’évidence ce qu’elle était : « Beau Paris d’hiver au ciel de cocaïne. Un Louvre d’argent embarrasse la Seine où se noient les dernières médailles de l’automne ». Avec les deux autres volumes à venir, le lecteur a de belles heures de lecture devant lui.

Didier Garcia

Journal 1919-1924
Mireille Havet
Éditions Claire Paulhan, 544 pages, 35

Les années Carnaval Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°64 , juin 2005.