Jean-Yves Cendrey a publié une dizaine de romans, la plupart chez P.O.L et L’Olivier. Des livres où on côtoie des êtres meurtris dont les blessures affleurent dans les comportements brutaux, une langue comme des coulées de lave, et le désir d’en découdre avec un monde qui ne leur a pas fait de cadeaux. Derrière cette tension omniprésente, le rire jaillit quelquefois, au milieu d’une scène douloureuse et cocasse ou face aux gesticulations de personnages aux abois qui marchent crânement vers l’abîme. On devinait que cette manière de peindre l’humanité devait quelque chose à la vie de l’écrivain Cendrey. Que cet alliage de férocité et de drôlerie s’était élaboré dans la connaissance du chaos des vies brisées. La lecture des Jouets vivants confirme tout cela et apporte des éclairages parfois violents. Nulle fiction ici pour travestir la réalité. Il y est question d’un crime dont on a forcément entendu parler il y a quelques années et plus récemment à l’occasion du procès pour pédophilie qu’il a occasionné. L’histoire se passe à Cormeilles, un village de Normandie. Le criminel est un instituteur nommé Marcel Lechien. Ses victimes sont les enfants de sa classe de cours préparatoire. Il agit dans l’impunité depuis de nombreuses années, grâce à la complicité passive de membres irréprochables des institutions de la République. Jean-Yves Cendrey habite alors ce village avec sa famille. Il sait trop ce qu’est une enfance dévastée pour rester inactif. Tout autant que l’histoire d’un combat pour arracher des gamins à leur bourreau, Les Jouets vivants introduit le lecteur dans la genèse d’un livre qui puise sa possibilité aux sources même de la vie de son auteur.
Tout au long de cet entretien, Jean-Yves Cendrey revisite son parcours d’homme et d’écrivain. Il revient aussi sur le matériau singulier de son dernier livre qui d’emblée prend place au cœur d’une œuvre en mouvement.
Les Jouets vivants, bien que très différent dans sa forme et son objet de vos livres précédents, est comme eux porté par quelque chose qui semble venir de très loin, une révolte toujours prête à éclater.
Il m’est arrivé de dire que la haine était une sorte de carburant de ma littérature, qu’elle ne me faisait pas peur, et que contrairement aux prudences que beaucoup ont avec elle, elle ne me gênait pas…Là en revanche, la provocation qui m’a été lancée par l’existence, les circonstances, avait un lien avec les violences dont j’ai été victime enfant, toute l’histoire un peu insurrectionnelle de ma jeunesse. Ainsi s’est très vite imposé le fait que ma propre violence, ma haine ne seraient pas efficaces. Ce qui était indispensable, tant au moment des événements, qu’à celui de la rédaction du livre, c’était une extrême détermination. Le projet était complexe du fait que ma propre famille y était mêlée, que je l’écrivais depuis un endroit presque d’exil, puisque j’avais quitté le lieu où je vivais… On n’en avait pas été chassé, contrairement à ce qui a été dit ou...
Entretiens Écrire avec les poings
À travers une plongée dans les entrailles d’une sordide histoire de pédophilie, rendue possible par l’omerta des braves gens et des institutions, Jean-Yves Cendrey revient sur le combat mené pour terrasser l’adversaire. Combat porté par une colère ancienne, héritée de l’enfance.