Roman ou document sociologique ? Ce « nulle part » anglais oscille en effet entre le portrait très intériorisé d’une famille, de quelques amis, et le tableau des conditions de vie et de rêve de gens modestes de Corby, ville d’aciéries sans perspective. Tour à tour disséqués par le narrateur, ce sont Alma, la mère, Alina l’adolescente, Dereck le grand frère, Francis et son ami Jan… Comment s’échapper de cette ville sans horizon, de ses frustrations, de sa routine, de ses boulots sans grandeur ? Suffit-il de brûler une Bible, cette « panoplie complète de mensonges », d’écrire des chansons que personne n’entendra jamais, de se passionner pour l’astronomie ? À moins qu’on imagine de partager « l’Hostie sacrée de l’acide »… S’en suivent la fascination pour les sectes, l’errance sur les routes anglaises jusqu’à une Californie qui ne tient guère ses promesses. Tommy, lui, « adorait le monde », mais « ce qui le décevait, c’était le monde que créaient les gens, les institutions, les règles, les conventions ». Hélas, il reste voué à Corby, « corps et âme ».
Après La Maison muette (histoire terrible d’une claustration de jumeaux pour étudier la formation du langage) John Burnside nous livre un bilan doux-amer, la révélation surprenante de la culpabilité d’un meurtrier, réussissant à faire de ce livre un tableau convaincant de l’âme humaine. Si elle n’abusait pas tant de la patience du lecteur par sa lenteur méticuleuse, cette belle prose onirique venue d’une mouvance d’écrivains écossais généreuse et inquiète serait aussi prenante que judicieusement analytique.
Une vie nulle part de John Burnside
Traduit de l’anglais (Écosse) par Catherine Richard, Métailié, 432 pages, 22 €
Domaine étranger Friches existentielles
septembre 2005 | Le Matricule des Anges n°66
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Friches existentielles
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°66
, septembre 2005.