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Domaine français Au bain révélateur

octobre 2005 | Le Matricule des Anges n°67 | par Lucie Clair

Par la douceur aquatique d’une langue image, Alain Fleischer nous offre un livre de chair ouverte, pour rendre corps à une langue première.

L' Accent, une langue fantôme

Préparez-vous à une plongée inégalée dans la matière même de l’écriture. Cette Immersion commence comme un roman. À la réception de l’hôtel Hungaria du Lido, face à Venise, « capitale de la survivance » et ville figée dans l’attente de son livre à venir, l’écrivain-photographe David Fischer (ombre portée de l’auteur) retrouve en Vera, jeune danseuse aquatique tchèque, l’exact sosie de Stella, disparue, noyée vingt ans plus tôt à Buenos Aires. L’idée folle du rapt s’impose, pour ressusciter la présence de l’aimée, recommencer une histoire là où elle fut interrompue. À moins qu’elle ne soit à entièrement réinventer ? mais ce serait alors devoir s’abandonner à un roman qui ne s’écrit plus seulement avec des mots. Car le narrateur hésite entre ces deux références. « Les mots m’obéissent, mais j’obéis aux images. Les mots m’appartiennent, je me les approprie, les images me regardent, je suis pris dans leur filet, dans leur chant silencieux, maléfique et envoûtant, comme le chant des sirènes, les images surgissent du fond de l’eau, elles viennent flotter pour m’attirer à elles, à la surface du temps. »
Pris entre deux temps, Fischer « l’homme qui pêche » est entraîné dans le sillage de Stella-Vera, sirène silencieuse aux identités multiples elle deviendra un temps Sara, femme, mère, fille, sœur, elles sont toutes en une, emboîtées l’une dans l’autre, et se déploient, jusqu’à l’origine obscure et fascinante, le ventre premier et dernier. En contrepoint, l’ermite Avigdor Sforno, l’érudit, « le dernier habitant, le dernier homme », vieillard aux prises avec l’énigme de la dette requise par Shylock dans Le Marchand de Venise, et pour qui le destin des hommes ne se lit plus que dans les pierres ou dans les pages mensongères de son biographe suspend ses réponses à son dernier souffle. Au gré des détours inattendus que lui soumettent ces initiateurs incontournables, (la sagesse du vieil homme, la vitalité de la jeune femme, les deux pôles autour desquels oscille l’espérance de l’humain), Fischer, cédant à la quête d’une matière non dénaturée aux côtés de l’étoile Stella, ira chercher sur les rives de la Méditerranée, « dans le ventre de l’Europe », une terre encore immergée pour y « passer d’un milieu à l’autre sans jamais perdre pied. » Passer des mots aux images. Faire œuvre de poésie, donc.
Car ce sont les images qui auront finalement gain de cause images produites par ce roman dans le roman à écrire qui devient un livre laboratoire (reprenant, pour titres de chapitres, différentes étapes du développement d’un film photographique) langue-image, aire de l’image, notre imaginaire. Libre à nous alors de voir dans le ciel de Trieste plombé de pierres les tableaux de Magritte, ou de se souvenir de certaines séquences de films… Le tour de force d’Alain Fleischer est dans sa capacité à jouer avec les évocations, nous immergeant dans les profondeurs du « bain révélateur » d’une langue jubilatoire, mordante la vision féroce des codes de la Biennale d’Art Contemporain de Venise est un morceau d’anthologie ! poignante, aimante. Une langue sensuelle, fluide, suivant les eaux où elle prend naissance, eaux lourdes, sombres, noires, des lieux où l’Histoire s’est arrêtée, l’Europe des camps nazis et du déni de l’Humanité, « Europe au cœur de pierre qui n’a plus d’image dans sa tête », où ne règnent plus que des mots surexposés, blanchis de leur sens, érodés dans leur profusion, ou eau claire, scintillante, régénératrice, d’un retour à l’au-delà des mots.
Ce faisant, il déjoue la perspicacité du lecteur, désamorce les tentations du polar, brouille les pistes de l’autobiographie se rit en passant de la vanité de l’autofiction, alternativement maître et valet de lui-même semble nous donner le choix entre deux dénouements pour mieux les faire se rejoindre, multiplie les moyens de faire imploser la structure narrative, désosse le discours, et élabore les points de fuite d’une autre perspective. En allant ainsi à l’encontre des mots « qui écraseraient le monde sous leur poids étouffant et noir, au lieu d’en remuer la poussière dorée, légère, dans le soleil », et par la grâce d’un rythme, d’une teinte, d’une tonalité, d’un accent, il réussit à nous révéler l’intense douceur et la suprême volupté d’un amour sans concession, qui, dans une nostalgie assumée, ne demande qu’à envisager l’homme à nouveau.
À ce titre, L’Accent, une langue fantôme, outre qu’il délivre quelques clés d’Immersion le chapitre « Fragment autobiographique 7 » reproduit les éléments généalogiques d’Avigdor Sforno peut être lu comme le verso du roman. Cet essai, paru simultanément aux éditions du Seuil, étayé par une solide expertise de linguiste, explore les présences d’une langue tue (par l’adoption d’une langue seconde), revivant à l’insu de tous, arpège évocateur d’une identité plus riche, ouvrant une « enfilade de questions » propre à faire percevoir « l’en deçà et l’au-delà d’une langue ». Qu’on l’entende ou qu’on le voie (la seconde partie, la plus étonnante et aussi la plus accessible pour les néophytes, montre la visibilité des accents à travers les films en VO ou leur doublage), « l’accent a une image », il est lui-même image, trace d’une origine qui n’en finit pas d’être questionnable.

Alain Fleischer
Immersion
Gallimard
324 pages, 19,90
L’Accent,
une langue fantÔme

Seuil
180 pages, 16

Au bain révélateur Par Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°67 , octobre 2005.
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