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Zoom Les fantômes de l’Histoire

octobre 2005 | Le Matricule des Anges n°67 | par Lise Beninca

Le premier livre de Christophe Mileschi est aussi le dernier de son personnage, un écrivain italien qui se repent, au terme de sa vie, d’avoir contribué à l’horreur de la Grande Guerre et du fascisme. Intense et poignant.

Morts et remords

Son nom le laisse deviner, Christophe Mileschi (né en 1961) a des origines italiennes. Mais ce n’est qu’après plusieurs contretemps qu’il boucle aujourd’hui la boucle en prêtant sa plume à un écrivain italien. Premier faux départ au collège, lorsque son professeur d’italien le dissuade de faire le même métier et lui conseille un cursus scientifique. Lors d’un séjour au Canada, il se découvre alors une nouvelle vocation : il sera garde forestier, et s’imagine déjà arpentant les bois en grosses bottes et vareuse, une pipe à la bouche. Il suit une formation, exerce quelques années, puis se rend compte que ce monde n’est pas vraiment celui auquel il aspirait. Fidèle à son rêve ancien, il s’inscrit à l’université la plus proche, en première année d’italien. Puis c’est l’agrégation, une thèse, et Christophe Mileschi est aujourd’hui professeur de littérature italienne à l’université de Grenoble. Mais cela ne suffit pas. Alors il se met à écrire, parce que « l’écriture est tous les mondes et aucun monde ». La forme romanesque, la fiction se sont imposées d’emblée, comme un mode d’enquête et de connaissance que ne peuvent remplacer ni l’histoire, ni la philosophie, ni la sociologie. « Morts et remords est né de l’insatisfaction de n’avoir pas su dire, dans tous mes travaux de « savant », l’essentiel. » C’est donc l’Italie qu’évoquera ce livre, à travers le personnage de Vittorio Alberto Tordo, un écrivain né en 1891 que ses premiers livres ont placé aussitôt au rang de « fierté nationale ». Un écrivain dont les mots ont appelé à la guerre, faisant campagne en 1915 pour l’intervention de l’Italie. Exalté, convaincu, lui qui montre une admiration sans bornes pour Jules César, Alexandre et Napoléon Bonaparte, va mettre la littérature au service de la gloire de son pays, et de la sienne propre. « Une œuvre maîtresse couvait en moi, et il lui fallait des circonstances à sa mesure pour éclore et grandir : la guerre, la guerre. » Longtemps, Tordo tire fierté d’avoir prôné la subordination inconditionnelle à un chef, et vu en la hiérarchie militaire « le reflet dans l’ordre des affaires humaines d’une hiérarchie intrinsèque du monde ». Lui-même se porte volontaire dès le début des combats. Il vilipende les lâches et tire sur ceux de son camp qui font mine de reculer. Prisonnier, ce sont encore des poèmes patriotes qu’il compose. Il reviendra vivant, pour apprendre que son frère cadet est mort au combat. Tordo s’acharne alors à composer le « livre-monde » qui justifiera la guerre, qui démontrera que ceux qui commandaient le feu ont été « guidés par une voix métaphysiquement irréprochable ». Il s’acharne pour ne pas comprendre que déjà, le remords le guette.
Tordo ne pourra plus rien écrire d’autre que Morts et remords, son dernier livre, celui par lequel il renie tous les autres, désavoue ses propos et ses actes, témoigne contre lui-même. « J’ai relu mon journal de soldat, et je suis tombé à genoux, dans ce grenier poussiéreux où sont mes reliques de guerrier, et j’ai voulu demander pardon. » Dans ce journal qu’il croyait objectif, rien sur l’horreur des tranchées, rien sur les cris d’agonie et les corps disloqués, dévorés par les corbeaux, rien d’autre que l’apologie de la guerre. Ses propres mots le font vomir. « J’ai compris, enfin compris vraiment que les livres tuent, que les miens ont tué, qu’ils ont tué encore ceux qui étaient déjà morts. » Ils sont coupables de tout ce qu’ils ont voulu taire.
La littérature n’est pas un espace de neutralité, et certainement pas de neutralité politique. C’est ce que Christophe Mileschi nous signifie. « Les livres peuvent tuer, parce qu’ils pourvoient le monde de mythes, de modèles, d’exemples, parce qu’ils forgent les manières de dire, de penser et d’agir, parce qu’ils fabriquent de l’imaginaire. Dire que nos soldats, en 14, se sont valeureusement portés à nos frontières pour les défendre contre l’envahisseur n’est pas sans conséquences. Tordo découvre au terme de sa vie que la littérature « pure » n’existe pas. Que ses livres ont été des instruments politiques, et qu’il le savait, et les a voulu tels, par ambition ». L’universitaire sait que la majorité des « grands » artistes et intellectuels italiens ont été fascistes ou philofascistes, au mieux complaisants (« de Pirandello à Malaparte, de D’Annunzio à Marinetti, de Bontempelli à Ungaretti, de Gadda à Pizzuto » énumère Tordo), et son personnage s’en veut le représentant.
Christophe Mileschi garde dans ses tiroirs quelques romans non publiés. Ils ont tous en commun d’aborder la violence personnelle, collective, d’État. « La question politique, celle du pouvoir, de l’organisation étatique me travaillent de longue date. De ce point de vue, l’Italie est un véritable modèle, qui a inventé plusieurs fois des formes nouvelles de gouvernement. » Morts et remords part d’une démarche très personnelle, intime, en nous plaçant au cœur des tourments d’un vieillard rongé par ses fantômes. On sent bien que Christophe Mileschi écrit sur ce qui le touche. Lorsqu’on lui demande pourquoi il a choisi d’évoquer la Grande Guerre, il répond : « La guerre de 14-18 est le berceau sanglant de notre époque. La guerre où l’on invente la destruction massive. Où l’homme est ravalé au rang de matière brute (« chair à canon »). Où l’on s’accoutume à l’effroyable à grande échelle. Et parce que j’ai passé mon enfance et ma jeunesse à Verdun, Meuse, conscient dès 5 ans d’habiter dans les décombres d’un charnier. »

Morts et remords
Christophe
Mileschi
La Fosse aux ours
128 pages, 14

Les fantômes de l’Histoire Par Lise Beninca
Le Matricule des Anges n°67 , octobre 2005.
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