Untel stigmatise « l’école malade de l’égalité » ; celui-ci lie sans rire « nazisme, démocratie, modernité et génocide » ; cet autre vient à pleurer le « meurtre du pasteur »… Benny Levy, Alain Finkielkraut, Jean-Claude Milner, etc : soit une opinion intellectuelle dominante, si prompte à juger le peuple imbécile, catastrophique, quand il n’est pas tout simplement immature le peuple, ses criailleries et ses soulèvements, sa démocratie. Ce sont les différents visages de la « haine » de cette démocratie que Jacques Rancière décrit ici subtilement. Le mépris est certes aussi ancien que la chose méprisée (Platon, dans La République, coupla pour la première fois la démocratie et cet abominable style de vie qui fait régner « l’illimité des désirs »),
il n’empêche qu’il reprend ces temps-ci une étrange vigueur. Stratégies sournoises de détournement (mettre au compte de la démocratie ce qui était autrefois attribué au totalitarisme) ou de défiguration (confondre de façon purement sociologique société de consommation et démocratie), projets divers visant toujours à enrayer l’irresponsabilité populaire (ainsi des crises de l’école qui appellent une mise au pas de la jeunesse par la mise en place de filières bien spécialisées), il s’agit en fin de compte, encore et toujours, d’empêcher le pouvoir de « n’importe qui ». Rancière introduit un beau dissensus dans le chœur des habiles qui se croient, eux, habilités à prendre le pouvoir (meilleurs, plus riches, mieux nés, compétents), et défend avec flamme la beauté « nue » de la démocratie, toujours apte à susciter « du courage et de la joie ». Son essai n’a pas, jusqu’ici, suscité grand enthousiasme dans la grande presse : c’est sans doute que celle-ci limite ses faveurs à la démocratie exportée.
La Haine de la démocratie de Jacques Rancière
La Fabrique, 106 pages, 13 €
Essais Peuple de trop
janvier 2006 | Le Matricule des Anges n°69
| par
Gilles Magniont
Un livre
Peuple de trop
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°69
, janvier 2006.