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Domaine étranger Compagnons d’âme

janvier 2006 | Le Matricule des Anges n°69 | par Sophie Deltin

À travers six portraits d’artistes parus en 1998, W.G. Sebald effectue, en guise d’hommage, un inoubliable pèlerinage littéraire au cours duquel l’auteur allemand souligne toute l’ambiguité de l’acte d’écrire.

Séjours à la campagne

Conformément à sa conception de l’écriture comme entreprise d’exhumation de restes contre le cours irrésistible de l’oubli, Sebald donne voix (et images) à des destins intimement liés à l’écriture, et plus ou moins ensevelis dans les gravats du passé (Johann Peter Hebel, Gottfried Keller) ou qui ont failli rester inaperçus dans les archives de l’Histoire (Robert Walser).
La « prédilection inchangée » pour ces auteurs auxquels « sont venus s’y rajouter Rousseau et Mörike », s’explique sans doute par la connaissance de l’exil que tous ont d’une façon ou d’une autre expérimentée. Ce qui n’est pas insignifiant pour un écrivain bavarois né en 1944 d’un père officier de la Wehrmacht, et qui, ayant grandi dans l’ombre des crimes de la Seconde Guerre mondiale, se décidera très tôt pour l’émigration volontaire en Angleterre jusqu’à sa mort accidentelle en 2001.
Dans une œuvre hantée par le tourment de personnages déracinés, orphelins de leurs origines et condamnés à l’errance (de Vertiges à Austerlitz), l’exil réapparaît ici sous plusieurs formes : que ce soit à un pays (Rousseau, chassé de Genève pour subversion, se réfugiera sur l’île de Saint-Pierre), à une époque (l’esthétique Biedermeier de Mörike, « un réflexe de survie consistant à faire le mort »), à une société (l’aversion de Keller pour le capitalisme), à une langue (l’ « étrangeté » d’une langue « extrêmement sophistiquée » chez Hebel), ou à soi : l’émigration intérieure de Walser, « retranché dans son terrier » de papier, et que sa mise à l’écart définitive à l’asile d’Herisau achèvera de déposséder de lui-même. Placés dans « la gueule béante de l’Histoire » face notamment aux ravages causés par la modernité ces auteurs ont vécu jusque dans leur chair la menace d’engloutissement qu’elle faisait peser sur eux. De cette prise au corps d’une époque qui à chaque fois « bouleverse tout sur son passage », ils en partagent non seulement les « symptômes » : ce « trouble du comportement… qui pousse à transformer en mots tout ce qu’on éprouve et, avec une sûreté surprenante, à passer à côté de la vie », mais surtout les stigmates : manie de persécution (Rousseau), abattement (Keller), hypocondrie (Mörike), ou encore dissolution de soi (Walser). Ils en fournissent enfin la preuve, la trace d’encre ou de crayon jusque dans la « graphorrhée » compulsive chez Walser.
C’est donc toute l’ambiguïté de l’acte d’écrire que souligne Sebald, à la fois un « vice », plus ou moins dissimulé, confinant parfois à un anéantissement implacable, et un puissant instrument de sauvetage. Car la conscience aiguë de l’Histoire comme processus de destruction perpétuelle sur les hommes et sur une nature régulièrement saccagée et défigurée par la technique ou la guerre une vision blafarde que l’on retrouve chez Sebald dans son passionnant essai De la destruction, ne les a pas empêchés d’oser l’utopie : celles « d’un monde maintenu en équilibre » (Hebel), ou d’une société non « encore régie (…) par l’argent » (Keller). Et sans doute cet acte de résistance au flux soi-disant inéluctable de l’époque trouve-t-elle son point d’accomplissement ultime chez Walser, dont le système de miniaturisation à l’extrême de l’écriture dans les « microgrammes » constitue « l’édification d’un ouvrage de défense unique dans l’histoire de la littérature, à l’intérieur duquel les choses les plus infimes et les plus anodines étaient censées être sauvées du naufrage de cette grande époque dont l’avènement alors s’annonçait (le nazisme) ».
Derrière ces méditations biographiques, c’est aussi un singulier autoportrait de l’auteur qui se trouve brossé un genre d’introspection, avec pour guides les « devanciers » qui le visitent. Car « c’est une chose de faire un signe à un collègue qui s’en est allé, et c’en est une autre d’avoir le sentiment que l’on vous en a adressé un, depuis l’autre rive ». Si le recueil fourmille d’échos, de « correspondances » et de « recoupements » étranges, c’est donc précisément en vertu de l’idée forte selon laquelle « tout est lié par-delà les époques et l’espace » et que rien n’est perdu à qui sait déchiffrer les signes. Et en promeneur averti, Sebald excelle à décrypter les palimpsestes de sa propre imagination et de sa mémoire, ainsi qu’à recueillir les indices, avec toujours ce sens de l’anecdote insolite ou du détail poétique. Ainsi de ce lien secret qui unit Kleist et Walser, ou encore le grand-père de Sebald et Walser, morts la même année, et partageant, outre la ressemblance physique, cette habitude « de garder leur chapeau à la main, bras baissé contre le flanc »… Soulignons l’efficacité du procédé du collage de photos et d’images qui, par sa façon de tricoter des morceaux du réel comme pour mieux en fabriquer, contribue à susciter cette tension si particulière à une œuvre tramée d’invisible et ourlée d’ombres. On lira d’ailleurs avec intérêt l’essai final sur le peintre ami Jan Peter Tripp, éclairant à plus d’un titre la technique picturale qui caractérise l’écriture chez Sebald.

Sophie Deltin

Séjours à la campagne
W.G. Sebald
Traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau
Actes Sud, 208 pages, 19,80

Compagnons d’âme Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°69 , janvier 2006.
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