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Intemporels Un silence sépia

février 2006 | Le Matricule des Anges n°70 | par Didier Garcia

Julio Llamazares relate, en des phrases lourdes et lentes, les derniers instants d’une vie dans un village fantôme. Entre élégie et adagio.

La Pluie jaune

Imaginez un village, ou plutôt un hameau, perdu dans les montagnes. Imaginez-le pris par la neige, le froid, le brouillard, malmené par un vent hargneux, et recouvert par un silence qui vient peut-être de temps lointains. Ajoutez, çà et là, quelques maisons en ruine et, à l’écart, une bâtisse, dont la carcasse témoigne encore de l’incendie qui surprit toute une famille et du bétail. Un tel village existe, au moins pour Julio Llamazares (né en 1955) : c’est Ainielle, « pourrissant en silence » dans les Pyrénées espagnoles, près de Huesca, en Aragon. Un village où ne trouvent à survivre que des êtres humains « habitués depuis toujours à la tristesse et à la solitude de ces montagnes ». Et encore : en 1950, il ne restait déjà plus que trois habitants à Ainielle ; et quand ce récit s’ouvre, en 1970, il ne compte plus qu’une âme, celle du narrateur, qui y vit seul avec sa chienne depuis dix ans, depuis la mort de son épouse, qui s’est pendue dans le moulin du village. Et vivre, c’est d’ailleurs beaucoup dire : il y survit, désormais à la merci de la rouille et du lierre qui grignotent les ruines des maisons, y agonise « comme un chien fou que les gens craignent d’approcher ». Un chien condamné à ronger ses propres os.
Dès la première page, le lecteur est propulsé dans un univers qui étouffe sous un silence absolu. Ici, jamais rien de relatif. Absolus aussi le froid, le brouillard, la nuit. Et c’est en silence que la moisissure et l’humidité rongent les murs, en silence que la rivière redescend vers la vallée, en silence que la nuit tombe, en silence que la pluie vient jaunir le décor, et encore en silence que la pensée voit la mort approcher.
Au quotidien, pour cet homme arrimé aux dernières heures d’une vie qui est peut-être pire que la mort, il n’y a rien d’autre à faire que de préparer du feu, puis d’observer les bûches se consumer. Ce sont des activités qui vous laissent du temps pour penser. Quand le présent se résume à la même page blanche qu’aucun mot ne vient noircir, on se tourne naturellement sur son passé. Celui du narrateur n’est pas plus enviable que son présent. Ce qui lui revient, ce sont les départs et les décès, le récit progressant au gré des agonies et des adieux. Il revoit le village se vider, d’abord lentement, puis dans la débandade d’un exode collectif. Le départ des villageois, et celui de ses enfants, quand il ne s’agit pas de leur mort. Sa mémoire est endeuillée par les décès qui ont décimé sa famille : celui de Camilo, mort on ne sait trop de quoi, n’étant jamais revenu de la guerre ; Sara, emportée par une maladie pulmonaire à l’âge de 4 ans, après une agonie de dix mois ; son épouse, qui a préféré la pendaison à ce simulacre de vie ; et bientôt celui de sa chienne, pourtant plus fidèle que les êtres humains. Un soir, il ressuscite une anecdote qui aurait pu lui valoir une fin tragique : un jour, il est mordu par une vipère ; quand on se trouve à quatre heures de marche du premier médecin, on n’a pas d’autre solution que de recourir à quelque vieux remède, et d’attendre le miracle, ou la mort.
Difficile quand même d’accepter tant de silence : pour tenir, passer l’hiver, le narrateur se raccroche à ce qu’il trouve, ne trouve pas, ou ce qu’il aperçoit entre deux nappes de brouillard : ici la rivière, là les peupliers, ou plus tard le fantôme de sa mère, qui revient brusquement peupler la cuisine.
À un moment, l’hiver prend fin. C’est le printemps, autrement dit un jour enfin différent des autres.
Le lecteur reprend alors l’espoir, imagine retrouver un peu de vie, d’autant plus que le narrateur entreprend de descendre à Biescas, dans la vallée, pour ce qui sera son dernier ravitaillement. La pause ne dure que quelques minutes : les portes restent fermées, et des visages l’épient derrière des fenêtres closes. Au passage, il récupère quand même une lettre : elle vient d’Andrès, son seul enfant encore vivant, exilé en Allemagne.
Les montagnes ramènent aussitôt la pluie jaune celle de l’oubli. Pas d’espoir non plus de ce côté : « Le temps est une pluie patiente et jaune qui éteint doucement les feux les plus violents » ; elle contamine la mémoire, et Ainielle ressemble de plus en plus à ces villages d’un autre temps endormis sur le papier jauni d’une vieille photo.
Heureusement, oserait-on dire, à la fin de cette magnifique mélopée, le narrateur se rapproche définitivement de la mort. Le plus surprenant, c’est qu’il mourra sans jamais s’être révolté contre son sort. Il s’agit d’honneur et d’éthique : il a décidé de rester ; son attachement au sol qui l’a fait naître aura raison de tout.
Pour le lecteur, sa décision vaut de l’or : elle lui offre des pages somptueuses, des phrases alourdies par le gel, glissant au rythme des flocons qui ensevelissent Ainielle, comme pour ne pas troubler ce silence que rien ne peut épuiser. Il a souvent l’impression de lire ce récit à la lueur d’une bougie, les mains transies par le froid. Et non seulement lire, mais entendre : un témoignage, une confession, un chant sacré, un chuchotement qui vient de loin, et qui lui parle du mystère des origines.

La Pluie jaune
Julio Llamazares
Traduit de l’espagnol par Michèle Planel
Verdier
160 pages, 13

Un silence sépia Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°70 , février 2006.
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