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Égarés, oubliés Le rag, le stomp et Gaston Criel

février 2006 | Le Matricule des Anges n°70 | par Éric Dussert

Poète et romancier féru de jazz et de p’tites pépées, Gaston Criel a vécu cent métiers. Ses livres inclassables et beaux n’attendent que d’être réédités.

C’est pour le souvenir de Noël Arnaud, écrivait Gaston Criel en préambule de Saint-Germain-des-Prés. Les décombres (Rewidiage, 1995), et par la même occasion à l’ombre de bien d’autres, que nous allons parler du Moyen Âge ». Du Moyen Âge, vraiment ? Cet âge enfoui pas si lointain, c’est pour Criel celui de l’épanouissement de Saint-Germain-des-Prés, celui de l’insouciance et du jazz : be-bop, rag, stomp, les rythmes chahutent enfin. Avec Boris Vian, le Tabou, on connaît la chanson. « Quand on se penche sur ces années, on pense à une équipe de boys-scouts (avec) un appétit de vie nappé d’un parfum de Nausée et d’un zeste de Paroles. Sartre dans la main droite, Prévert sous le bras gauche. Mais ce stock en frime était bien peu lu ». Léo Ferré chante ses premières chansons, James Baldwin, Adamov et Genet prennent un verre au Royal, on peut croiser Camille Bryen, Wols ou Adrian Miatlev, le poète qui visite souvent la chambre du 42, rue Bonaparte, 6e étage, louée par Gaston Criel pour le prix d’un paquet de Gauloises à Sartre lui-même le bail sera dénoncé par l’OAS, qui plastique l’appartement du philosophe au début des années 1960.
Né à Seclin dans la Flandre noire, le 30 septembre 1913, Gaston Criel fut élevé à Lille, à la laïque, et y travailla comme vendeur, employé de bureau, représentant et étalagiste. Acquis à la Sociale, le jeune secrétaire de la section Littérature contemporaine de l’Exposition du Progrès Social organisée à Lille en 1939 sert du « Cher Camarade » à André Breton. Mais il est fait prisonnier en 1940, interné au Stalag XI A d’Altengrabow, près de Berlin, puis au Kommando 366 où il sert de garçon de ferme jusqu’en 1945, date à laquelle il parvient enfin à Paris. Durant l’Occupation, ses vers avaient fait impression dans Poésie 43, Fontaine, Confluences, Les Cahiers du Sud ou L’Éternelle Revue de Paul Éluard, qui écrivait à son sujet : « Ses poèmes vont à la vitesse des rêves. Ils en ont la couleur deux fois rêvée, sinon deux fois vue. » C’est le même Éluard qui, en le présentant à Jean Paulhan, lui permet d’entrer chez Gide. Gaston Criel est alors un poète en devenir dont trois recueils ont paru : Amours (Lille, La Hune, 1937), Gris (idem, 1938) et Étincelles (Denoël, 1939), premières lignes remarquées d’une bibliographie qui ne demandait qu’à s’allonger.
Personnage marginal de la vague existentialiste, Gaston Criel fréquente Tzara, Zadkine, combien d’autres. Dans sa piaule, il reçoit bienveillamment les marginaux et puis Jean-Paul Clébert, le jeune Frédérick Tristan tout juste arrivé de Labastide-Rouairoux, ou encore François Augiéras alors en quête d’un éditeur. Il le prend sous son aile et propose à Jérôme Lindon Le Vieillard et l’enfant qui paraîtra vite. De petits boulots en sorties nocturnes, Criel croise des sillages incertains, écrit beaucoup, toujours, et donne généreusement ses textes aux revues. C’est un homme d’amitiés et de littérature. Après un séjour à Tunis où il occupe un poste d’attaché culturel à Radio-Tunis, il rentre à Paris au moment de l’indépendance de la Tunisie et reprend le jeu du saute-mouton professionnel. Pour pratiquer son art, il est metteur en page, journaliste à Carrefour et au Parisien Libéré, publicitaire. En juillet 1951, il est embarqué pour proxénétisme parce que l’une de ses petites amies pratique à l’occasion. Il fait aussi le vendeur en textile, le marchand de caravanes, le vendeur de disques, l’employé de bureau, le laveur de carreaux, le barman, le portier de boîte de nuit. Si l’on en croit son roman le plus fameux, La Grande Foutaise (Fasquelle, 1952 ; Plasma 1979), c’est à ce poste pas trop cassant qu’il rencontre une Américaine aisée qui l’embarque aux États-Unis. Là, il s’imbibe encore du jazz dont il avait fait l’apologie dans un livre aussitôt acclamé par ses pairs, Swing (Éditions universitaires de France, 1948 ; Vrac, 1982 ; Est, 1988).
Il y a tout lieu de penser que les œuvres complètes de Gaston Criel paraîtront un jour. Dans quelques lustres peut-être, plus tôt si nous sommes chanceux. Elles paraîtront de toute manière, cela ne fait aucun doute pour qui a lu un peu ses pages dont les merveilles ne s’effaceront pas. Témoin Henry Miller, qui écrivait à son sujet : « C’est un langage vivant, plein de mordant et des sortilèges de la misère qui l’a produit ». Témoins Bachelard, Breton, Cocteau, Picabia, Césaire, Mac Orlan, qui tous le saluèrent. Témoins les beaux livres percutants et inclassables que sont Sexaga (Plasma, 1975), Phantasma (idem, 1977), Circus (Vrac, 1981) et L’Os quotidien (Est, 1987), sans oublier ses poèmes. Témoin Charles Le Quintrec : « Gaston Criel, osseux et calme, qui parle de l’Amérique noire avec des majuscules… Criel connaît toutes les onomatopées du subconscient et toutes les astuces pour gagner du pognon… Il improvise comme Duke Ellington : ses poèmes sont serrés, comme des fruits d’automne qu’on doit cueillir sur l’arbre et qui se conservent. Son dernier livre, Swing, prouve qu’il aime suffisamment le jazz pour l’offrir aux profanes comme un bouquet de beauté. Ce qui m’attire en lui, c’est sa simplicité, sa gentillesse et la malice de son sourire. » On n’attend donc plus que les Œuvres complètes de Gaston Criel, frère humain des farouches, qui s’est éteint à Lille le 5 janvier 1990.

Le rag, le stomp et Gaston Criel Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°70 , février 2006.
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