La Vie enfantine de la tarentule noire, par la tarentule noire
Voici peut-être le plus attachant et le plus explosif des romans de Kathy Acker (1947-1997) que le lecteur avait découverte l’an dernier avec Sang et stupre au lycée. Bien qu’il s’agisse de son tout premier livre, cette autobiographie terriblement fantasmatique, à mi-chemin de L’Attrape-cœurs de Salinger et de La Métamorphose de Kafka, balaie et démultiplie l’identité de l’écrivain avec une fureur inégalée. Tour à tour perturbée et fascinée par ses délires, et ce depuis sa plus tendre enfance, elle se fait courtisane, prostituée, brigande, empoisonneuse. L’écriture emprunte à ses auteurs favoris, de Violette Leduc à Sade, comme si la tarentule de son moi profond les digérait et les excrétait pour donner naissance à l’univers si radical de Kathy Acker. En six épisodes et six époques, elle raconte six fois sa vie, devenant un clone psychotique de Yeats ou du divin Marquis. Elle se fait une « vie de meurtrière », elle devient « le personnage principal » de chacun de ses livres pornographiques… Changeant de sexe pour se donner les sensations érotiques d’un garçon ou d’une lesbienne, changeant de style pour phagocyter les littératures, elle s’approprie ses écrivains fétiches en un vaste cut-up à la Burroughs, avec le plaisir d’une narration survoltée en plus, tout cela pour multiplier une existence qui ne peut lui suffire. Une sexualité dévorante, provocatrice, surtout masturbatoire, côtoie la haine de l’oppression, la révolte politique tous azimuts. Le frénétique désir d’infini traversait tant Kathy Acker qu’on ne s’étonne pas qu’elle ait produit ensuite un roman convulsif et déjanté qui est une réécriture de don Quichotte…
La Vie enfantine de la tarentule noire, de Kathy Acker
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Gérard-Georges Lemaire, Désordres/Laurence Viallet, 144 pages, 18,90 €