La collection « Textes rares » des Presses universitaires de Rennes nous fait la bonne surprise de proposer une Anthologie de monologues fumistes, établie par une spécialiste de la littérature théâtrale, Françoise Dubor. On devine à l’adjectif qui ferme ce titre la nature poilante des dits monologues et l’on se réjouit, par principe. Ensuite, plongé et comment ! dans cette riche et délectable matière de l’esprit, on se pourlèche. Mais, afin ne pas laisser le lecteur dans la perplexité, il faut préciser d’abord que le monologue est, en quelque sorte, un sketch, ou l’ancêtre du one-man-show comique tels que l’ont pratiqué Bourvil ou Fernand Reynaud, tel qu’on le pratique encore. C’est, en tout cas, une première rupture dans les habitudes dramatiques du XIXe siècle. Et dramatiques, elles nous le paraîtraient sans doute ces habitudes si le théâtre de cette époque nous était représenté dans son jus, avec son emphase, ses poses, ses inénarrables boursouflures et ses chichis. Il n’est que d’entendre Apollinaire déclamer au début du XXe siècle ses poèmes pour imaginer l’art déclamatoire aux grandes heures de la crinoline et du haut de forme. C’est Coquelin cadet (1848-1909), fier comédien français, qui fit la gloire du genre. En 1881, dans le Monologue moderne, il s’en expliqua : « Il faut avouer que le monologue entre de plus en plus dans nos mœurs. Je parle du monologue dont Charles Cros est la mère, et moi, si j’ose m’exprimer ainsi, la sage-femme ; de ce monologue particulier, enfant bizarrement conformé, dont le premier bégaiement a été le Hareng saur. »
Art de parler pour ne rien dire, ou « théâtre dans son plus simple appareil », selon Françoise Dubor, le monologue ne proposait d’autre arsenal dramatique qu’une absence d’action, des mots dits par un être désinvolte doté d’un sens efficace du grotesque. Bref, des drôles, navrés ou pleins de désarroi, aptes à générer une ambiance de foire. Quelque chose qui nous rapproche des manifestations fin-de-siècle ou de certaines avant-gardes, et préfigure vaguement le mal nommé théâtre de l’absurde. Fruit d’auteurs pour la plupart oubliés tels que Charles de Sivry (1848-1900), Jules de Marthold (1842-1927) ou Paul Bilhaud (1854-1933), le monologue eut ses gloires (Félix Galipaux, 1860-1931, à qui l’on doit le mot « galipette ») et ses publications furent largement diffusées. Il pourrait même, à en juger certains des bijoux exhibés ici, servir encore. Témoins, « Mon loyer court » où une andouille de célibataire cherche de soirée en soirée la femme qui pourrait meubler son appartement vide. Ou cet « Unicoloriste » de Jules Moy (1862-1938) donné l’année de la publication par Allais de son Album primo-avrilesque (rééd. Al Dante, 2005)…
Après avoir bien souri, et souvent ri, on est contraint de dire que ce livre délectable présente deux défauts visibles. Le premier tient à sa fabrication et n’est pas bien méchant (un brochage un tantinet vasouilleux), le second est, quant à lui, plus embêtant puisqu’il ressort d’une méconnaissance de certaines sources sur la question traitée. En effet, depuis la réédition chez Champ Vallon en 2000, par MM. Golfier, Wagneur et Ramseyer, des Dix ans de bohème, les souvenirs du meneur des hydropathes Émile Goudeau, il serait grand temps que la bibliothèque universitaire de Rennes s’en procure un exemplaire (576 pages, 28 €) pour enrichir l’information de ses maîtres de conférence. Ces derniers y trouveraient une foule d’informations, tel ce « dictionnaire des hydropathes » bourré de notices biobibliographiques bien utiles aux lecteurs. S’en servir n’aurait en rien nuit au prestige de l’université. C’est même tout le contraire.
Anthologie
de monologues
fumistes
Textes choisis par Françoise Dubor
Presses universitaires de Rennes
261 pages, 16 €
Histoire littéraire Galipettes en stock
mars 2006 | Le Matricule des Anges n°71
| par
Éric Dussert
Sketch humoristique avant la lettre, le monologue fit, au XIXe siècle, le renouveau de la vie théâtrale. On le doit en partie à une « sage-femme », Coquelin cadet.
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Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°71
, mars 2006.