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Poésie Un corps en flammes

mars 2006 | Le Matricule des Anges n°71 | par Richard Blin

Longtemps en chantier et enfin paru, le maître livre de Christian Guez Ricord (1948-1988) est un feu couvant de braises dévorantes, un astre noir dans la nuit aveuglante des secrets d’un cœur fidèle.

Le Cantique qui est à Gabriel/le

Qui sait ce qu’aimer veut dire, qui a connu l’éblouissement d’amour et sa brûlure, l’enchantement des heures bienheureuses comme l’abîme de la déchirure, aimera Le Cantique qui est à Gabriel/le jusqu’en sa chair philosophale. Un dit de l’adoration, un livre envoûtant, enivrant, oraculaire, entièrement voué à ce principe Féminin qui, cristallisant tous les désirs et tous les mystères, est Amour et Lumière, quête charnelle et spirituelle autant que mystique de la plénitude amoureuse. Constitué de trois livres Maison Dieu, La Tombée des nues et Les Heures à la Nuit, Le Cantique est le grand œuvre d’un poète qui connut des débuts flamboyants, obtenant, dès 17 ans, le prix Paul Valéry. Très vite remarqué et soutenu par Yves Bonnefoy, Michel Deguy, Pierre Emmanuel, François-Xavier Jaujard, Bernard Noël, il publie dans de nombreuses revues (La Délirante, Sud, Le Nouveau Commerce), avant de devenir pensionnaire de la Villa Médicis (1974-1975). Eprouvant au plus intime de son être les déchirures propres à la création tout entière, il incarne une conception très personnelle de la poésie où, sous le sceau de la conjonction amoureuse, se conjuguent le vertige désirant à la transcendance de la sainteté. D’un séjour à Patmos (où se trouve, disait-il, une Porte du Paradis), il reviendra persuadé de s’appeler aussi Gabriel au masculin et au féminin. Christian Gabriel/le Guez Ricord. Dialoguant avec son ange, érotisant la passion, agité par des voix et des visions, vivant en constant état d’incandescence poétique, il renonça très vite à l’enseignement pour se consacrer aux trois grandes œuvres auxquelles il ne cessa de travailler : L’Annoncée, Le Cantique qui est à Gabriel/le et La Couronne de la Vierge. Souffrant parfois de troubles psychiatriques, il sera plusieurs fois hospitalisé ce dont témoigne Du Fou au Bateleur, écrit en collaboration avec le psychiatre Jean-Pierre Coudray avant de disparaître, à 40 ans, en 1988.
Présentant Cènes, en 1976, dans le Cahier de poésie N°2 (Gallimard), Pierre Oster évoque « l’une des plus pures apparitions qu’il nous ait été donné d’observer en dix ans dans l’ordre du poétique et à l’horizon de notre langue », tout en nous avertissant « d’avoir à entendre un français tirant parfois sur l’énigme, à la métrique difficile, audacieuse, folle peut-être ». Pour Le Cantique, C. Guez Ricord a inventé une métrique heurtée de 21 syllabes par vers, dont Bernar Mialet dit, dans sa présentation, qu’il l’avait choisie en référence à la longueur d’onde de la raie d’Hydrogène grâce à laquelle les physiciens observant l’univers par radio-télescope, reconnaissent la présence potentielle de la vie. Au nombre de 21 par page, ces vers de 21 syllabes, portés par un souffle et un rythme inouïs, articulent un verbe hanté par toute une épaisseur charnelle. Quelque chose de saturé et de musical, tissant le temps, s’accordant à la somptueuse exubérance de l’ivresse d’amour, et donnant espace aux énergies mobilisées par l’Amant dans son combat contre ce qui le possède et le dépasse. « Oui, je viens vers toi, et le sais-tu, tandis qu’ils brisent les anneaux de réflexion, / Jusqu’à l’énervation, je te dis le temps nouveau, le corps verbal, l’œil affranchi, / Mais ai-je au vrai maudit le silence des images et plus que toi désiré, / En ce jardin des larmes où les allées appellent une mémoire insensée, / Ô Adolescence ô ! Que vienne la mort prendre celui qui n’a aimé qu’en vain… »
Quand l’histoire est finie mais dure encore, quand l’amant, dans sa misère, implore et aspire à l’éternisation impossible de son amour, celui-ci se fait extatique et, dans son désir de communion, rivalise avec le sacré. L’Aimée, l’Elue devient alors Celle qui a le pouvoir d’être ou de n’être pas, Celle qui inspire et désespère, resserre sans cesse le cercle de son emprise, invite à la double perfection de l’amour et de la parole. Déesse aux multiples visages, ange de jeunesse et de beauté, gardienne de cruels mystères, grande initiatrice, elle est toujours la même transmigrant de corps en corps, qu’elle s’appelle Agathe, Marie Mireille Miracle, l’Archangeresse, la Dame du Salut, la Fée secrète, l’Unique, Béatrice ou la Parfaite. Elle est à la fois la faille et celle qui la supprime, l’Absolu où l’on se perd ou qui conduit hors de soi… État de crise, état critique, « T’adorer est le risque de ma raison défunte », où s’entrelacent et se déchirent destin contraire et destin choisi, où s’exaspèrent aussi l’immanent et le transcendant, l’errance et l’erreur, le masculin et le féminin. Un univers où les contraires peuvent devenir équivalents, où l’Amant est l’Amante, où les corps et la nudité deviennent les signes d’une révélation, l’incarnation d’une réalité suprasensible qui peut, ainsi, être plus directement appréhendée, connue, aimée. « Je te veux nu sur l’autel, que ta verge m’adore comme temple jusqu’à l’heure / Où d’avoir été blessé le souvenir la brûlera devant moi et pour cène, / Une verge orante… »
Ce qui ne va pas, bien sûr, sans rituel ni excès. « Agathe, prends cette fiole verte de poison, va sur la rive, / Laisse ton casque au fond de l’eau, souviens-toi de l’arme qui est restée dans la tour, / le vent des magiciennes coiffées de bleus t’indiquera le cerceau et la clef, / Fais présent de ton corps, de ce glaive que tu tiens, retourne-toi et dévêts-toi, / La nuit fictive est cette déposition, la nuit retourne la terre incréée, / Va, risque la chimère, sonne le combat, et meurs d’avoir été, d’avoir cru / La supplique et la strophe quand l’exil te demande la nature d’un ciel rouge. ». Echos de cultes antiques, ombres d’anciennes puissances destinales, allusions aux divers niveaux de la réalité que la Tradition vénère, elle qui sait ce que dissimule le chaos érotique, et quelle est la vraie nature de ce qui se cache sous les extases et les pleurs du premier plan. D’où le rôle des figures de l’Annonciation et de l’Ange chez Guez Ricord. Car derrière cet archétype de la Rencontre, c’est ce qui donne l’intelligence de la violence des affects et de l’inatteignable essence du Féminin en tant que matrice et matière, lumière et mort, qui est en jeu. « L’Ange se souvient d’avoir à mourir, / Et pour lui, mourir, c’est te connaître et par là te remettre l’âme, non l’esprit, / Et l’image flagrante d’une idée dont la tâche serait l’immortalité « .
 » Peindre les nus du rien, le soir, quand l’étoile vous reflète l’auteur déjà mort / Vous relire le texte, le mot trépanation, le secours de l’initiation, /
(…), / faire le point / Sur la cicatrice, le scel des lignes de la main, celui du sang, et vous décrire / Le stigmate origine le cri crâne crisse le front sang nombril, plaie première ». De rupture en contact, d’inadéquation en incomplétude, on tourne en rond, on cherche le lieu, on est mis en demeure. Car le sexe conduit au Rien qui se cache derrière la nudité la plus absolue, conduit à l’âme, qui conduit à la Sagesse. La voie érotique est une voie gnostique. Le possédé d’amour, qu’il le veuille ou non, est toujours aux prises avec un vide où se célèbre le triple mystère de la connaissance : l’érotique, la psychique et la spirituelle.
À ces lieux secrets sexe, chambre, tombe… où l’on n’entre qu’en état d’ivresse ; à l’Aimée du Cantique, au rêve d’une amante toujours vierge mais qui aurait connu tous les degrés de l’amour, Christian Gabriel/le Guez Ricord offre église (Maison Dieu), livre, miroir, et Cantique. Une manière de faire tenir ensemble l’amour et l’écriture, Dieu et l’âme mais aussi la dissonance et l’accord. À mots nus, à cœur ouvert, par dérivation et irradiation, il se fait verbe, ange de chair projetant sur le ciel de la page l’ombre de son corps souffrant et la lumière de son rêve. Car son Cantique doit autant à sa vie qu’à ces rêves dont on revient avec les marques du fouet. Une authentique folie amoureuse vécue dans l’exaltation, la défaillance et l’ivresse. Celle d’un homme resté fidèle à l’ensoleillement et au mystère d’un amour qui, d’aveugles allégeances en offrandes expiatoires, le vouera aux saintes flammes noires de la dévotion et de la dévoration.

Le Cantique qui est
à Gabriel/le

Christian Gabriel/le Guez Ricord
Édition établie et présentée par Bernar Mialet
Le Bois d’Orion
430 pages, 27

Un corps en flammes Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°71 , mars 2006.
LMDA PDF n°71
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