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Domaine étranger Messagère de l’absolu

avril 2006 | Le Matricule des Anges n°72 | par Richard Blin

Profondément inactuelle, vouée à aimer tout ce que l’homme a aujourd’hui déserté, Cristina Campo (1923-1977) est l’auteur d’une œuvre concise, secrète et comme illuminée par la musique d’une grâce intérieure.

Belinda et le monstre : vie secrète de Cristina Campo

Elle trouvait auprès de ses chats une « source d’énergie naturelle », aurait voulu être une novice du désert, façon Charles de Foucauld, reprochait à Simone de Beauvoir son manque d’intelligence, et estimait qu’il fallait tout vivre à fond. Personnalité contradictoire, capable de descendre, au cœur de Rome, un escalier au volant de sa Fiat 600, comme de s’intéresser aux mystérieuses identités unissant la corolle de la fleur, à la flamme du cierge et aux lèvres baisant l’icône, Cristina Campo, pseudonyme de Vittoria Guerrini, est l’un de ces êtres, à l’œuvre très mince, qui de loin en loin, traversent le firmament littéraire. Née en 1923, à Bologne, avec une malformation cardiaque qui la fera souffrir toute sa vie, l’obligeant à quitter l’école à 12 ans, elle vivra son enfance dans un milieu cultivé, nourrie de musique (son père fut directeur de Conservatoire à Florence puis à Rome), et sera élevée dans le respect de la science auprès de son oncle maternel, Vittorio Putti, célèbre chirurgien orthopédiste. Lectrice précoce, elle dévore les contes de fées et apprend le français dans Proust, l’espagnol dans Don Quichotte, l’anglais dans Shakespeare et l’allemand en lisant Thomas Mann. Bientôt, ses découvertes de Hofmannsthal, de Pasternak et surtout de Simone Weil, la confirmeront dans son goût de la perfection celle que l’on peut toucher « dans l’art, et inventer glorieusement dans sa conduite de chaque jour » et dans son amour de la beauté. Celle qui est d’abord intérieure avant d’être visible, celle sur laquelle tout repose, « la terrible et presque menaçante » beauté dont Dostoïevski espérait qu’elle sauverait le monde. Perfection et beauté, indissociables de l’attention, qui permet de pénétrer la réalité et qui « libère l’idée de l’image ».
Dans un monde d’où disparaissaient l’idée du destin comme le sens de la grâce et du mystère, Cristina Campo ne va pourtant s’intéresser qu’à ceux-ci. En commençant par les contes de fées, qui initient à tout ce qui indique obliquement, au langage des songes et des signes, au pouvoir des symboles « où se rejoignent l’universel et le particulier, le sublime et le tangible ». En continuant par l’enfance, les jouets (« infimes et douloureux témoins d’une époque où le rapport à l’enfance ne se réglait pas sur la complicité, où le jeu était encore prophétie et propédeutique »), ou en étudiant l’écriture secrète des tapis d’Orient, « l’art de nouer les fils (qui) renvoie aux aventures ourdies à l’intention des hommes par des mains invisibles ». En s’intéressant tout aussi bien aux villas florentines, qu’au chant grégorien, à la musique élisabéthaine qu’aux rites de la liturgie, mais toujours pour y repérer la trace ou la trame du destin, pour y traquer grâce à l’esprit analogique, « une faculté qui est le propre de la poésie et de l’oracle et qui permet de transmuer la réalité en figure, c’est-à-dire en destin » les jeux d’échos ou de miroirs, la façon dont le « heurt ininterrompu et harmonieux des contraires » peut mener à l’inexprimable, à cette forme de mystère où elle retrouve la source et le savoir de toute poésie et de toute religion.
Pour Cristina Campo, il n’est pas de haute écriture sans cérémonie, sans style, « cette vertu polaire grâce à laquelle le sentiment de la vie peut à la fois se raréfier et s’intensifier ». Pas de poésie non plus, cette « grande sphinge au visage de lumière », sans dépassement du temps humain et révélation d’une beauté « hiéroglyphique, déchiffrable seulement en termes de destin ». D’où son intérêt pour les « insulaires de l’esprit », ces visionnaires que furent Dante, John Donne, Gottfried Benn, Djuna Barnes, William Carlos Williams, Lampedusa ou Frédéric Chopin. Les pères du désert aussi, « ces lions de l’esprit », ou la poétesse Marianne Moore, capable d’écrire tout un essai sur les couteaux comme d’écrire « sur les lézards verts et les reliures aldines, les danseuses et les flamants « , » les fontaines mortes de Versailles » ou la « musique suspendue / sans un son au-dessus du serpent / quand il frémit ou s’élance ». Sans oublier Jorge Luis Borges « dont les écrits donnent rendez-vous aux splendeurs secrètes de toutes les traditions, sublimées en d’éblouissantes et captieuses alchimies » et dont chaque nouvelle « a pour fin de nous reconduire chaque fois à cette parole antique : Tout est Un ».
Sa dénonciation d’un monde où « tout a la valeur de ce qu’il paraît » en fait un témoin impitoyable du profond désarroi engendré par le matérialisme étroit de nos sociétés.
Tous ceux-là ont vu la beauté et ne s’en sont pas détournés. Tous ceux-là sont à lire avec d’autres yeux que ceux de la chair, raison pour laquelle Cristina Campo les a surnommés Les impardonnables. Parce qu’est impardonnable pour le monde d’aujourd’hui, tout ce qui attire via la perfection et la beauté vers les royaumes secrets de la connaissance et du destin.
C’est de ce monde que témoigne l’œuvre de Cristina Campo. Une œuvre qui se résume à la traduction de quelques-uns de ces impardonnables, à quelques poèmes (Le Tigre Absence, Arfuyen, 1996), et à deux recueils de textes La Noix d’or et le magnifique Les Impardonnables, déjà publié à L’Arpenteur, en1992. Des essais proprement lumineux, relevant de l’éthique et de l’esthétique de la sprezzatura (un mot intraduisible, pour dire un mélange d’élégance et de désinvolture, de grâce et d’ineffable). Des textes où elle dit des choses graves « sur un rythme de danse » et dont l’écriture éloigne les imbéciles à la façon d’une « longue et invisible lance », comme l’a écrit Guido Ceronetti.
Et puis, il y a la correspondance, considérée comme l’une des plus grandes de la littérature italienne. Les Lettres à Mita, (diminutif de Margherita Pieracci Harwell, qui signe la postface), une amie rencontrée en 1952 et à qui Cristina Campo écrivit de 1956 à 1975. Toute sa vie s’y concentre, une vie où tout est appréhendé, ressenti, filtré par la littérature. On y retrouve la même qualité d’attention que dans l’œuvre proprement dite, le même amour des livres où la parole distille « sa saveur la plus pure », la même idée d’un temps circulaire, le même goût de « l’éternel dans un espace microscopique ». On y découvre son besoin de se dévouer, son abnégation dans les soins qu’elle ne cessa de prodiguer aux siens malgré ses propres souffrances. « Vous vous souvenez à quel point j’aimais les poupées « malades » quand j’étais petite ? (…) On est toujours exaucé de ses rêves, surtout les plus stupides ». L’on saisit mieux aussi sa sensualité surnaturelle, son inapaisable faim de connaissance spirituelle, son désir d’infini, sa quête d’absolu, et l’on comprend mieux le cheminement intérieur qui la rapprochera de Dieu et de la conversion. On assiste aussi à son combat contre l’apostasie liturgique, contre la disparition du chant grégorien et de la messe en latin, décidée par le concile Vatican II. Et si elle y consacre autant d’énergie, c’est qu’elle considère que la liturgie traditionnelle est, comme la poésie, « splendeur gratuite, gaspillage délicat, plus nécessaire que l’utile ».
À mille lieues de la culture officielle, méprisée par une certaine gauche bien-pensante, Cristina Campo succombera à une crise cardiaque, à 53 ans, en janvier 1977. Mais son implacable sens critique, sa dénonciation d’un monde où « tout a la valeur de ce qu’il paraît », d’un monde mutilé par le « massacre universel du symbole, l’inexpiable crucifixion de la beauté », la perte des rites et des interdits, l’oubli de la dimension verticale de la pensée, ont vite mobilisé l’attention d’une génération entière d’intellectuels italiens qui découvrirent en elle un véritable précurseur, et un témoin impitoyable du profond désarroi engendré par le matérialisme étroit des sociétés modernes ou post-modernes. Une œuvre encore trop méconnue en France, mais qui grâce à la publication de ces trois ouvrages, va peut-être trouver les lecteurs qu’elle n’avait, d’ailleurs, jamais véritablement recherchés. L’œuvre d’une vigie méticuleuse, d’une prêtresse de l’indicible qui sait rendre présent et particulièrement tangible tout ce qui lie et relie le destin au sacré, et la poésie au monde signifiant de l’invisible.

Cristina Campo
La Noix d’or
Traduit de l’italien
par Monique Baccelli
et Jean-Baptiste Para
220 pages, 19,50
Lettres à Mita
Traduit de l’italien
par Monique Baccelli
440 pages, 31,50
Tous les deux à L’Arpenteur
Belinda et le monstre
(Vie secrète
de Cristina Campo)

Cristina de Stefano
Traduit de l’italien
par Monique Baccelli
Éditions du Rocher
250 pages, 17

Messagère de l’absolu Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°72 , avril 2006.
LMDA PDF n°72
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