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Poésie Spaces for Spicer

avril 2006 | Le Matricule des Anges n°72 | par Emmanuel Laugier

Jack Spicer (1925-1965) écrit des poèmes où le désir des garçons frôle savamment l’enjambement des vers, où de simples fantômes, exposés et sensibles, deviennent corps conducteurs de sa propre parole.

C’est mon vocabulaire qui m’a fait ça

Le titre choisi par cette édition qui regroupe l’ensemble de ses livres se réfère à l’avant-dernière phrase prononcée par Jack Spicer, agonisant, à l’un de ses amis. Par ce « c’est mon vocabulaire qui m’a fait ça », il faut entendre, comme le suggère son traducteur, à la fois une constatation et une dénonciation, une trahison et un étonnement, de ce que le langage lui aurait fait subir, comme autant de coups reçus : mourir en fait avant l’heure si l’on en croit la sorte de boutade qu’il fit sur le tard : « Oh, merde ! je suis si vieux que Rimbaud était mort bien avant mon âge, à Marseille, avec une vision ». La question que souleva tôt Jack Spicer, né en 1925 à Hollywood, ne fut pas celle d’une vision à trouver, mais plutôt celle, à partir de son D’après Lorca (1957), de l’écoute. Écrire était pour lui tendre l’oreille, accueillir dans le creux du tympan la voix du monde, des promenades, des amours et des spectres. Le poème ne sera pas en effet pour autant leur image, mais la retranscription de leur aura acoustique dans des mots neufs. Cette croyance a son importance en ce qu’elle nous dit qu’écrire consiste à trouver le corps propre d’un langage pour ce que l’on entend : « Les poèmes sont là, la mémoire non d’une vision mais d’une vague relation avec un fantôme pas très intéressant qui regardait occasionnellement à travers mes yeux et me chuchotait à l’oreille… » Le poète devient alors une sorte de boîte enregistreuse qui va émettre telle une radio, en piquant ci et là ses micros, ses syncopes et ses ralentissements de voix. Dans Hommage à Creeley/Notes explicatives, il écrit justement en une très belle ellipse : « Par exemple/ Le poème ne sait pas/ A qui le vous se réfère » ou encore, plus loin, « Les fantômes glissent/ Et puis jaillissent/ Le garçon chanta et la chanson que j’entendis :/ Ombres humides sur un bâton ». C’est dans cette solitude-là que va travailler le poète américain, jusqu’à en témoigner sans illusion dans l’une des lettres (bien sûr fictives) à Lorca : « Le plus souvent maintenant, il n’y a personne. Mes amis poètes sont aussi peu intéressés par mes poèmes que je le suis par les leurs. (…) Nous sommes polis mais c’est comme si nous échangions des photos de nos enfants de vieilles connaissances qui n’apprécient pas les femmes des autres ». Malgré les amitiés anciennes (il étudie la linguistique à Berkeley et y rencontre les poètes Robin Blaser et Robert Duncan), les amis et les amours, les dédicataires des poèmes du superbe Admonitions (1958), Spicer ne croit plus à une possible communauté poétique. « Personne/ N’en a beaucoup/ De baiseurs ou d’amis ou de n’importe quoi/ Qui peut faire un petit peu de lumière dans toute cette obscurité ». Seule la solitude se partage avec les morts, avec Rimbaud (voir son faux roman), avec Billy the Kid par exemple, dont il fait un livre en 1958, l’introduisant dans son histoire comme un frère à qui offrir tout l’espace de sa propre frontière. « Billy the Kid/ Je t’aime/ Billy the Kid/ Je soutiens ce que tu dis/ Et il y avait le désert/ Et l’embouchure de la rivière ».
À partir de 1957, date à laquelle commencent à paraître ses livres chez de petits éditeurs américains, jusque, un an avant sa mort, Dear Jack, sa correspondance avec le poète Ferlinghetti, Jack Spicer a abandonné toute idée de carrière universitaire. Il accepte ci et là de petits boulots, working man donc, dans le Minnesota, à New York, Boston, avant de retourner à San Francisco. L’été 65, alors qu’il cherche à s’installer à Vancouver, une crise d’éthylisme le terrasse et l’empêche de quitter la côte ouest. Il prononcera sa phrase-vision, la dernière, aussi émouvante qu’une déclaration naïve d’amour : « ton amour te laissera avancer ». Reste pourtant la résonance de ces vers, si caractéristiques dans leur dépouillement et dans leur façon de boiter : « Un vent se lève à l’ouest/ Comme le passage du désir// Deux garçons jouent sur la plage/ Riant// Leurs jambes dégingandées projettent des ombres/ Sur le sable humide ». Reste aussi ce désir où un crâne saillant vient marquer la fin qui s’annonce. Mais, chez Spicer, toute cette longue traversée, qui se confronte à la réalité rugueuse, et dont son langage reviendra bouleversé, n’est à aucun moment marquée par le pathos. Bien au contraire, c’est comme si le sentiment de finitude ne le touchait que de loin, c’est-à-dire qu’il n’ « Il n’y a nulle nuit dans laquelle, donnant un baiser,/ On ne sent pas les sourires des gens anonymes/ Et il n’y a personne en touchant quelque chose née récemment/ Qui peut vraiment oublier les crânes immobiles des chevaux ». Nulle nuit où des spectres ne puissent pas nous rappeler aux vivants.

C’est mon vocabulaire qui m’a fait ça de Jack Spicer - Traduit de l’anglais (États-Unis) par Éric Suchère, préface de Nathalie Quintane
Le Bleu du ciel, 356 pages, 25

Spaces for Spicer Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°72 , avril 2006.
LMDA PDF n°72
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