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Domaine étranger L’impossible récit

juin 2006 | Le Matricule des Anges n°74 | par Thierry Cecille

Entre l’épopée empêchée et le froid témoignage, le roman peut encore affronter le secret et l’ambigu : Isaac Rosa nous découvre l’Espagne franquiste.

En nos démocraties trouées et bousculées, l’Histoire, récit commun à partager, s’effrite : la mémoire l’emporte. Subjective, partielle et partiale, se revendiquant telle parfois, elle peut donc devenir devoir mais aussi abus. Alors qu’aujourd’hui la mémoire des victimes vient confisquer la place accordée jadis et à l’histoire des héros, certains romans veulent redonner leur place à ceux qui luttèrent, croyant à l’avenir, c’est-à-dire, précisément, à la marche de l’Histoire. Isaac Rosa est né en 1974 : ni témoin, ni victime, peut-être est-il mieux placé pour affronter les difficultés d’une telle entreprise plus périlleuse encore en Espagne puisque la transition démocratique s’y est accompagnée, jusqu’à récemment, d’amnésie et conséquemment d’amnistie tacite. Mais c’est en romancier, avant tout, qu’il s’interroge : comment procéder pour que ce roman « n’existe pas en vain » ? Le titre, alors, est paradoxal : pour que ces pages puissent atteindre, si ce n’est la vérité, du moins une certaine réalité, non falsifiée, du franquisme, pour qu’une mémoire resurgisse, le romancier devra éviter pièges et chausse-trapes multiples. Le narrateur interviendra donc constamment pour se méfier et nous alerter, déconstruisant, au fur et à mesure, la fiction que pourtant il ne renonce pas à tisser. Il choisit deux personnages, un lieu et une époque : 1965, Madrid, Julio Denis, universitaire spécialiste de littérature médiévale et André Sanchez, étudiant et activiste communiste. Sanchez est arrêté et disparaît (emprisonné, torturé, fusillé ?), Denis s’exile en France et finit sa vie à Toulouse. Sanchez était-il un héros, ou un idéaliste prétentieux, ou un romantique excité et dangereux pour ses camarades ? Denis fut-il un délateur, un lâche, ou bien un résistant habilement dissimulé sous la défroque de l’érudit terne et désengagé ? Rosa n’hésite pas à décrire, avec un sourire d’apitoiement ironique, les affres qu’il doit éprouver : l’auteur, dit-il, doit éviter « ce maquillage de la fiction en reportage qui finit trop souvent par falsifier des réalités maltraitées par le passage au roman », mais il ne peut être question non plus de céder à la « répugnante nostalgie » qui serait, il est vrai, éminemment vendable mais équivaudrait à une « mémoire historique corrompue » pire que l’oubli. Il lui faut également se garder de ne présenter du franquisme qu’une peinture satirique, car « on forge ainsi la digeste impression d’une république bananière, contre la réalité d’une dictature qui appliqua, minutieusement et jusqu’au dernier jour, des techniques de torture raffinées, la censure, le contrôle des esprits », mais aussi bien « éviter que le récit ne soit victime de préjugés idéologiques » en ces temps de « vengeurs livres noirs » quand communiste devient un « vocable maudit » (pensons à la trajectoire de quelque Semprun…) Comment s’y prendre donc ?
Utilisant avec talent cette tactique de dé-naturalisation du récit et du romanesque que Sterne et le Diderot de Jacques le Fataliste inaugurèrent, le narrateur dialogue avec le lecteur, fournit de vrais-faux entretiens avec des témoins et amis des personnages, pastiche un article de journal franquiste dénonçant l’agitation étudiante ou, en un dérisoire accéléré, l’épopée du Cid Campeador. Il décrit longuement, tel un naturaliste consciencieux, les caractéristiques et le comportement de ce curieux animal qu’est le « delator hisponiolus » (qui prolifère également à Vichy, Moscou ou Matignon…), cite des pages d’un manuel de torture pour éviter, croyons-nous, de tomber dans le pathétique convenu ou le sadisme sordide que comporterait la narration d’une telle scène mais s’y confronte (avec efficacité) quelques pages plus loin. Bien entendu cette constante dénonciation des procédés employés met à mal le processus d’identification ou cette sorte de laisser-aller qui caractérise nos habituelles lectures, bien sûr il arrive (et il le prévoit lui-même, démiurge rusé) que l’ « on regarde le doigt qui montre et non l’objet montré », mais, rassurons l’inquiet romancier, ses personnages, loin de n’être que de la « vulgaire barbaque littéraire », existent et demeureront dans la mémoire ainsi éveillée.

La Mémoire vaine de Isaac Rosa, traduit de l’espagnol par Vincent Raynaud
Christian Bourgois éditeur, 332 pages, 25

L’impossible récit Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°74 , juin 2006.
LMDA PDF n°74
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