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Égarés, oubliés Éric le malicieux

juin 2006 | Le Matricule des Anges n°74 | par Éric Dussert

Plein d’ironie, le baron Éric de Haulleville fut l’ami d’Odilon-Jean Périer. Il composa avec « Le Voyage aux îles Galapagos » un roman captivant digne des meilleures épopées du siècle dernier.

L’évaporation d’Éric de Haulleville dans les limbes de la mémoire n’est que relative. On ne parle guère de lui sans doute, et ses éditions originales se négocient à petits prix, mais on ne l’a pas irrémédiablement oublié. Pour preuve, les éditions Le Cri lui avaient consacré en 1993 un volume d’Œuvre complète éloquent. Bien aveuglément, comme le réglage des postérités du siècle dernier le montrera forcément, l’histoire littéraire avait négligé un écrivain important.
Les droits à la reconnaissance de cet écrivain sont nombreux : ils tiennent en cinq cents pages riches et étranges, magiques et malicieuses. Et s’il n’avait que cet argument ! Né le 13 septembre 1900 à Bruxelles, Éric de Haulleville fut d’abord, c’est indéniable, un gamin rondouillard. Puis il devint un homme charmant, rond sans doute, dont les amis avaient remarqué qu’il dispensait, en compagnie de son épouse Rose, une « ambiance » douce, une sensation d’épanouissement. Il était le fils du conservateur du musée d’histoire naturelle de Tervuren, un musée qui, équipé d’une bibliothèque et de spécimens variés, lui avait offert d’étrenner son imagination. Il fut aussi docteur en droit, beau-frère d’Aldous Huxley et, accessoirement, homme d’administration à la plume cocasse, collaborateur temporaire du cinéaste Henri Strock et soldat engagé, mais sans rôle, lors d’une sale guerre.
Il fut d’abord et c’est ce qui primera l’ami intime du poète Odilon-Jean Périer (1901-1928), qui lui dédia les vers de « Pour veiller ce soir d’hiver » (Le Promeneur, Gallimard, 1927) et traça pour lui un calligramme en forme de clé : « Que les amateurs de poésie se donnent la peine d’entrer. La clef est sur la porte. Le poëte a son comptoir et les marchandises de bonne qualité. L’auteur un bon petit jeune homme a plus d’un tour dans son sac. Que les vieux messieurs jettent ce livre c’est une bombe à retardement. » C’est en frontispice de Dénouement (éditions du Disque vert, 1923), le premier recueil d’Éric de Haulleville, que parut ce texte-clé, à plus d’un titre. On peut y lire, en effet, quelque chose de l’œuvre à venir et de son esprit. Et d’abord l’humour d’un poète souriant, traitant avec ironie les faits et les choses. Plus grave sans doute dans Le Genre épique (éditions de la Montagne, 1930) et plus métaphysique à la fin de sa vie avec L’Anneau des années (La Maison du poète, 1941), il touchera au but avec Le Voyage aux îles Galapagos, un chef-d’œuvre d’aventure et de malice.
Reste cette « bombe à retardement »… Ici, on est tenté de dire qu’O.-J. Périer mettait en garde les vieilles barbes de la critique, les urnes pédagogiques et le bon bourgeois, mais aussi le clan surréaliste. Bigre… Signataire avec Delteil, Soupault, Cendrars ou Ribemont-Dessaigne de la fameuse « Lettre ouverte à M. Paul Claudel, ambassadeur de France au Japon » (2 juillet 1925) en réponse à l’injure du diplomate bien mal éclairé, Claudel avait déclaré que dadaïsme ou surréalisme n’avait qu’« un seul sens : pédérastie » de Haulleville n’aura pas côtoyé longtemps le troupeau de Breton. Dès les années vingt, il avait senti, comme son ami Périer, que les perspectives littéraires du surréalisme tournaient au tir à blanc. Pour le reste, il aura l’occasion de fréquenter d’autres cercles mais les choisira moins dogmatiques : celui du Disque vert, la revue de Franz Hellens, le grenier de Géo Norge, ou encore le groupe du lundi qui, le 1er mars 1937 publiera sous l’influence de Robert Poulet et de Hellens un Manifeste qui contient les six pages les plus commentées de l’histoire littéraire belge de langue française. À côté du prolétarien Pierre Hubermont, de Michel de Ghelderode, de Marie Gévers ou de Paul Fiérens, Éric de Haulleville signait une déclaration anti-régionaliste qui fit couler de l’encre à Bruxelles.
Publié d’abord par les Cahiers du Sud en 1934, Le Voyage aux îles Galapagos est sans conteste le grand livre du baron de Haulleville. On serait mal inspiré d’en donner la trame, elle est changeante. En faire la réclame est aisé : après avoir obtenu en 1936 le prix Albert 1er, il reparut sous couverture de la maison Grasset. Quant à le décrire par le menu, n’y pensons pas : il faudrait pour le moins rameuter l’épopée à la Cendrars, l’érudition et son brouillage façon Arno Schmidt, le pastiche et le détournement à la Fernand Fleuret (Jim Click ou la merveilleuse invention, Farrago), ou bien encore Louis Chadourne (Le Maître du navire, Farrago), sans oublier évidemment ! les étrangetés (maritimes ou non) que sont Les Tortues de Loys Masson (A. Dimanche), L’Odyssée fantastique d’Arthur Dément de Mario Mercier (Losfeld) L’Hydre de Guillaume Loubet (Le Seuil), La Vénus perdue de François Prieur (J. Ribou) et Le Vaisseau des morts de Traven (La Découverte). Las, nous n’aurons pas la force de secouer tous ces trésors-là. Pourtant, il est clair que ce Voyage appartient à leur famille, si c’en est une. Un inclassable, en somme, doté d’une terrible force d’envoûtement.
Seul Éric de Haulleville aurait pu éclairer toutes les facettes de son chef-d’œuvre, malheureusement il suivit son ami Périer dans la tombe. Épuisé par l’exode de 1940, il se retira au soleil de Saint-Paul-de-Vence et y mourut le 20 mars 194. Il ne nous reste aujourd’hui qu’à espérer en l’université belge : Paul Aron a entrepris de disséquer l’ouvrage pour mettre à nu son « intertextualité ». Bientôt, c’est formidable, nous découvrirons enfin d’Éric de Haulleville les rites et les mystères.

Éric le malicieux Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°74 , juin 2006.
LMDA PDF n°74
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