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Poésie La diagonale du fou

juillet 2006 | Le Matricule des Anges n°75 | par Richard Blin

Conjuguant l’espace et le temps aux virtualités de ce qu’il voit ou imagine, Jacques Réda élève l’art de la fugue au rang d’un art de vivre.

À pied, à bicyclette, en TGV, il regarde, voit, s’étonne… « J’observe et j’écris en somme comme d’autres pêchent, sans ambition quant à la valeur de mes prises et aux raisons qu’on peut avoir de s’en enorgueillir ». C’est que Jacques Réda n’en finira jamais de faire l’école buissonnière, d’exploiter les ressources de l’errance ou du déplacement, ne serait-ce que pour nourrir sa curiosité, satisfaire son besoin de se jouer des frontières ainsi que son désir de surprendre une beauté d’autant plus mystérieuse et magique qu’elle ne dépend finalement que de son aptitude à se faufiler dans la doublure du réel. Et puis, chemin faisant, c’est sa petite métaphysique de poche qu’il enrichit. Une manière d’éprouver le monde (inaugurée avec Les Ruines de Paris, en 1977), de vivre l’espace et le temps à travers la façon qu’ils ont de se lier et de se délier, d’affleurer ou de s’évanouir l’un dans l’autre.
Pour cela, pas besoin d’aller bien loin. Il s’agit d’abord de maîtriser l’art d’être là où l’on est comme si on n’y était pas mais tout en sachant qu’on y est. Il suffit ensuite de se pencher, par exemple, sur le revêtement, riche en particules brillantes, du sol des autobus, pour sentir un peu du vertige dans lequel plongent les « espaces insondés ». Il peut suffire de lever la tête pour voir soudain pignons et toitures se mettre à danser « un hip-hop » endiablé ; ou de se mettre à faire pipi « sur un plan de terre sèche presque battue et d’une légère inclinaison » pour éprouver « le sentiment et comme une vision de la précarité universelle ».
Comme si tout n’était qu’une question d’angle ou de courbure, de lieu et de rencontre, de rythme et de contrepoint.
En une bonne trentaine de textes mêlant de « petites illuminations de bord de trottoir » à une remarque sur la souffrance des « souvenirs que ne contient plus aucune mémoire », ou à la formulation d’une hypothèse faisant du temps « la propagation sans origine, sans bornes et sans écho d’un présent ondulatoire traversant indifféremment le vide et les corps », c’est l’ombre énigmatique du réel que tente de cerner Jacques Réda. Une façon de mettre en musique les modulations du visible et le halo des subtiles mutations de ce qui surgit pour disparaître dessous des apparences ou figures en creux des forces qui innervent ou hantent certains lieux ou certains moments.
Il y a chez Réda une attention toute baudelairienne au « transitoire », au « fugitif », au « contingent », alliée à une volonté toute mallarméenne de « peindre non la chose mais l’effet qu’elle produit », la façon dont nos sens reçoivent l’impression, la distillent, la convertissent en connivences ou en résurrections, ou l’arpègent en accords existentiels. Une manière toute poétique d’ouvrir le monde à des espaces neufs, des conjugalités inédites ou des idylles d’un instant où le temps est comme consumé et où le Tout resplendit.
C’est la logique secrète d’une âme, la façon dont ce qui la saisit, l’irradie ou féconde un souvenir ou une pensée, qui donnent aux textes en prose de Jacques Réda leur densité si spécifique, faite d’attention et de désinvolture, de pudeur et d’humour ontologique. Le tout comme pris dans un mouvement centrifuge qui dénuderait le corps mystérieux de l’instant et le livrerait, dans toute la gloire de son aura et dans ce suspens du temps qui donne à entrevoir un peu de cette éternité qui n’est en aucune façon « celle d’un temps indéfiniment élastique, mais celle du point de liaison qui, entre le déjà-passé et le non-encore-advenu, échappe à toute saisie ». Ponts flottants est ainsi une sorte de tapis volant aux allures très variables, nous emmenant de Paris à Londres, en passant par la Bourgogne ou un faubourg de Bordeaux, jusqu’au cœur de la Rédasie, un pays aux frontières invisibles, un monde aussi flottant et secret que celui où l’auteur nous embarque au fil de ses dérives ondoyantes.

Richard Blin

Ponts flottants
Jacques Réda
Gallimard, 200 pages, 18

La diagonale du fou Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°75 , juillet 2006.
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