Laurent Mauvignier, l'écriture à hauteur d'homme
Au cours de cet entretien, Laurent Mauvignier est souvent revenu sur son désir de travailler à relier les personnages à l’histoire collective dont ils sont issus. Dans plusieurs de ses livres, la guerre d’Algérie apparaît en filigrane. Elle sera plus présente encore dans ses prochains livres. Pour lui, il s’agit du dernier événement collectif majeur dont puisse témoigner toute une génération. Pour l’écrivain, il s’agit d’un enjeu d’écriture majeur.
« Les gens plus jeunes que moi ont leurs pères qui ont fait 68, mais ce n’était pas une guerre. Les soixante-huitards, je les vois davantage comme des grands frères que comme des pères. Nos pères, eux, ont fait la même expérience que leurs pères et leurs aïeux : celle de la guerre. Tous, par définition, connaissaient la guerre. Tout ça a pris fin, et tant mieux. Mais ça a des conséquences sur la façon dont nous nous représentons ce qu’a été leur existence, puisque nous ne partageons plus ce qui a été au cœur de leur vie. Il y a désormais une coupure radicale avec eux : ces temps où ils vivaient revêtent à nos yeux quelque chose d’archaïque, de mystérieux. La génération qui a fait la guerre d’Algérie a été la dernière dont l’identité se construisait à partir de l’histoire collective. Nous, (je pense en particulier à ceux qui sont nés ces quarante dernières années), non seulement nous n’avons plus l’espérance politique que portaient les idéologies, mais nous n’avons plus ce rapport à l’Histoire, cette inscription-là. D’où, je pense, dans la littérature française contemporaine, tous ces récits qui se focalisent sur l’intime… C’est une question que je me suis posée avec le Heysel : comment dire quelque chose sur le monde dans lequel nous vivons, surmonter ce sentiment de déconnexion d’avec l’Histoire ? Puisque les guerres, les soubresauts du monde nous parviennent uniquement à travers les médias, il fallait aller chercher quelque chose qui nous ait frappés de plein fouet, qui ait provoqué un sentiment de réel incontestable, une déchirure dans le quotidien.
Là, ce qui s’était passé au Heysel nous renvoyait à la violence fasciste, nazie, à l’image des charniers. Pour moi, il y a une parenté avec ce qu’a pu être la guerre d’Algérie, comme fait structurant d’une génération. Je pense à tous ces auteurs dont l’œuvre est portée plus ou moins directement par la guerre : Agrippa d’Aubigné, Balzac, Claude Simon, Céline, Duras, ou même Modiano, dont l’écriture explore l’intime, mais un intime où l’Histoire affleure partout. La Seconde Guerre mondiale, l’exode, les trafics les mensonges autour de ça, ce sont des choses qui appartiennent au monde des adultes qui sont autant de mystères, d’énigmes pour les enfants venus après. Tous ces êtres portent des secrets qui sont étroitement liés à...