Un tel titre ne rend guère justice à la richesse de ce roman. Certes, il y a place pour la nostalgie lorsque ressurgit une histoire vieille de quarante ans, des amours passionnées et éteintes, une île cubaine autrefois prospère et gangrenée par la mafia et la dictature de Battista. Mais c’est aussi un hymne ému à la beauté des livres, en même temps qu’un tableau des difficultés considérables éprouvées par ceux qui vivent sous la botte castriste, quoique le régime ne soit que pudiquement suggéré. Mario Conde, ancien inspecteur de police, s’est reconverti dans le commerce des livres d’occasion et anciens. Une activité peu reluisante, quand on se débarrasse de tout luxe, de tout loisir et culture, pour simplement manger à sa faim. Et c’est là qu’il éprouve l’émotion de sa vie : une somptueuse bibliothèque oubliée où dorment les rares grands classiques de l’édition cubaine. Mais aussi un article sur Violeta del Rio, belle chanteuse, mystérieusement suicidée… Elle aurait été aimée sans espoir par le père de Mario Conde et par le richissime homme d’affaires qui abandonna ses trésors de bibliophile. Du passé, jaillissent une nouvelle enquête, de nouveaux meurtres et agressions, des personnages marqués par le temps. Même dispersée, seule la bibliothèque conservera une aura magique. Si le constat politique n’épargne pas la dictature pré-castriste, la déréliction de l’actuel pouvoir est ici marquée par les anti-héros adonnés aux privations, par une nouvelle classe de rapaces qui prospère grâce à une économie souterraine faite de magouilles et de corruptions. Le sentiment d’humanité de ce roman est aussi attachant que le suspense de l’enquête.
Les Brumes du passé de Leonardo Padura
Traduit de l’espagnol (Cuba) par Elena Zayas, Métailié, 360 pages, 21 €
Domaine étranger Bibliothèque meurtrière
octobre 2006 | Le Matricule des Anges n°77
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Bibliothèque meurtrière
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°77
, octobre 2006.