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Poésie Incandescent météore

octobre 2006 | Le Matricule des Anges n°77 | par Marta Krol

La poésie de Baczynski, mort sur les barricades de Varsovie, révèle la tragédie de toute une génération. Une œuvre de pure énergie, lumineuse et noire.

Testament de feu

Quand en août 1944 il tombe sous la balle d’un tireur d’élite allemand, l’Insurrection de Varsovie n’a que quatre jours ; lui a 23 ans. Le peuple polonais se levait dans une révolte sans espoir contre l’envahisseur nazi, pendant que la très fraternelle armée soviétique assistait au massacre. Fils d’un critique littéraire de gauche et d’une institutrice écrivain pour enfants, Krzysztof Kamil Baczynski allait intégrer les Beaux-Arts de Varsovie lorsque la guerre est venue briser les vies de sa génération, celle des bacheliers 1939. Il a eu le temps de rencontrer celle à qui la poésie polonaise doit des vers d’amour inaltérables ; Basia Drapczynska, devenue sa femme, est morte enceinte un mois après lui.
Devant la prodigalité de son talent, on n’ose pas prendre la mesure du gâchis que fut cette mort. Un parallèle évocateur serait Rimbaud, lui aussi libérant précocement une avalanche de visions hallucinées, un déchaînement d’images sans pareil qui se meuvent et se transmuent l’une dans l’autre sans qu’un commentaire vienne distiller sens et répit. Pour Baczynski, il s’agit moins de rendre compte, de conter ou de décrire, que de créer, de faire surgir du néant des mondes qui vous coupent le souffle. On ne doit pas parler d’un style, mais d’un élément vital, d’un torrent de pure énergie poétique qui parvient à faire exister des choses, à supplémenter l’existant : « Respire à travers l’arbre et tu entendras/ comme un rayon danser, un son pur et sans voix,/ semblable à cette gamme du vent la plus subtile ;/ robes feuillues des demoiselles y défilent/ » Sur le pont d’Avignon, sur le pont d’Avignon «  ».
Cette créativité ne repose pas sur la facilité d’un néologisme. Le travail s’effectue, souvent à la faveur d’une syntaxe distendue, dans un court-circuit provoqué entre les mots que leur sens lexical ne destinait pas à se rejoindre, rencontres qui s’avèrent d’autant plus fécondes que cumulatives : « Par les forêts grisonnantes de lueurs/ comme dans un berceau de langueur,/ un chevalier rentrait d’une chasse duveteuse ».
Fatalement, la guerre a empreint l’œuvre de l’obsession du mal, dévastateur et triomphant. Ainsi, et dans la grande tradition de cette langue quelle que soit l’esthétique de l’époque, de Mickiewicz à Milosz via Norwid, le verbe est métaphysique. La mort et la peur de la mort sont un motif récurrent, voire le principe organisateur de nombreux textes. Le terme d’apocalypse apparaît ou plane dans des paysages de désastre cosmologique à la Jérôme Bosch. Les tentatives d’articuler espoir ou confiance s’exercent dans un registre de naïveté enfantine qui rajoute au tragique sous-jacent : « Enfants, nous rêverons la rougeur du sang/ Telles les joues gonflées des cerises. »
Souvent et pour le grand bonheur du lecteur, apparaît la figure de la bien-aimée, superbement lumineuse ou vulnérable, portée par une tendresse aux mille visages. La densité de la matière langagière n’empêche pas une structuration précise et rigoureuse de la phrase, loin de toute mièvrerie ou cliché. Défi particulièrement remarquable lorsqu’elle prend en charge un thème des Evangiles, sujet piège s’il en est, et pourtant toujours conduit dans une inventivité sans provocation.
À un lecteur polonophone qui la mesure à l’aune de la poésie mondiale, cette œuvre paraît urgente à traduire. Cependant, la difficulté de l’entreprise est immense et explique les problèmes lexicaux ou stylistiques du résultat, que le risque encouru d’une édition bilingue ne cherche pas à éluder. Au lecteur français, la traduction ne laisse pas percevoir la perfection formelle de ce vers qui bat comme le pouls. Or, seule cette évidence quasi ontologique emporte en polonais l’adhésion au « contenu », matériau sémantique archicomplexe. S’y attaquer de l’intérieur, en procédant à une transcription exacte du sens de chaque segment, ne semble pas probant : pétrifiés dans leur moule, les mots n’y travaillent pas entre eux dans le même frottement polysémique. Mais, la critique est si aisée de l’art de traduire K.K. Baczynski.

Testament
de feu

Krzysztof Kamil
Baczynski
Traduit du polonais par C.-H. du Bord
et C. Jezewski
édition bilingue
Arfuyen
204 pages, 19

Incandescent météore Par Marta Krol
Le Matricule des Anges n°77 , octobre 2006.
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