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Domaine étranger Destins amers

novembre 2006 | Le Matricule des Anges n°78 | par Delphine Descaves

Dans ce roman à l’écriture lente et grave, A. Gurnah croise les voix de deux narrateurs venus de l’océan Indien. Une réflexion sur l’âpre condition de réfugié.

Le roman s’ouvre sur une narration à la première personne du singulier. Un homme, venu d’un pays lointain qui n’est pas immédiatement nommé il est originaire en fait de l’île de Zanzibar a échoué dans un centre de réfugiés anglais, en tant que demandeur d’asile. Il y côtoie d’autres individus issus comme lui, pour la plupart, d’anciennes colonies, et tous sont en attente d’un futur hautement aléatoire dans cette Angleterre verte et humide. Dès les premières pages, Rajab Shaaban c’est sous ce nom qu’il s’est fait connaître au centre évoque longuement sa terre natale, imprégnée par l’arrogance de la colonisation ; sa jeunesse fascinée par Hussein, personnage brillant, baroque et malfaisant ; ses années enfin de commerçant de meubles. Le lecteur est saisi par le fossé qui s’est creusé entre son existence passée et présente : quel rapport existe-t-il entre Zanzibar, les souvenirs des lieux et des êtres, et le centre pour réfugiés ? Comment a-t-il atterri là ?
Il est assez vite conduit par la jeune et sémillante Rachel si enthousiaste et impliquée dans son travail d’aide aux exilés, si persuadée de son utilité et de la noblesse de sa tâche, qu’elle en oublie d’être lucide dans le Bed and Breakfast de Célia, la sexagénaire douteuse qui tient ce petit hôtel répugnant de crasse, où Shaaban fait la connaissance d’autres étrangers. Abdulrazak Gurnah, d’une plume sûre et sans artifice, suggère, en décrivant ces quelques jours chez la propriétaire des lieux, la tristesse profonde et l’absurdité de ces vies déracinées, jetées au fond d’une Europe indifférente. Mais voilà que Rachel fait rencontrer à Rajab quelqu’un qui va leur servir d’interprète : Latif Mahmud, un compatriote de Shaaban, devenu professeur de littérature anglaise à l’université ; un exemple de réussite post-coloniale, même s’il lui arrive encore de se faire traiter de « moricaud hilare » au détour d’une rue. Cette seconde partie ouvre progressivement au lecteur, par la voix cette fois de Latif, une autre vérité sur Rajab Shaaban : grâce au récit de « l’interprète » sur sa propre enfance et ses années de formation marquées par le même Hussein on comprend alors que les deux hommes se connaissent depuis longtemps ; leur sort a été noué et c’est le destin, ironique et sans complaisance, qui les remet en présence l’un de l’autre. Latif à son tour déroule sa propre histoire, illustration exemplaire de ces années d’Indépendance où les élites intellectuelles d’anciennes colonies étaient accueillies et formées dans les pays européens : on suit ainsi le séjour universitaire de Latif en RDA communiste, et à nouveau ce pourrait être le leitmotiv du roman on mesure l’infranchissable distance qui résiste entre les cultures, la façon condescendante qu’ont les Blancs pour la plupart de considérer les membres des ex-colonies, et la difficulté à s’intégrer : la rigueur climatique, ou le désert silencieux de la petite ville de Neudorf, un dimanche, suggèrent le caractère de profonde étrangeté de cette Europe, froide et lointaine à bien des égards. Les amis et correspondants allemands de Latif, quant à eux, « s’étaient fait, je pense, à cette idée que je vivais libre au soleil près de la mer à la lecture des lettres enchanteresses que j’écrivais, de même que de mon côté jamais je n’aurais songé que la vie était ce qu’elle était, là où ils habitaient ». Comment est-il possible de réellement s’acclimater ?
Peu à peu nous sont révélées les sombres intrigues familiales qui ont lié Rajab Shaaban à Latif Mahmud, et qui ont abouti à leur vie anglaise. Sans nostalgie, mais plutôt avec une amère clairvoyance, les deux hommes constatent l’échec de leur existence : exilés, sans terre, ils ne seront jamais non plus chez eux sur le territoire britannique, et sont condamnés à cette déchirure, entre un présent atone et vide de sens, et les douleurs de la mémoire.

Près de la mer
Abdulrazak
Gurnah
Traduit de l’anglais par Sylvette Gleize
Galaade éditions
314 pages, 19

Destins amers Par Delphine Descaves
Le Matricule des Anges n°78 , novembre 2006.
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