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Poésie Sortie de scène

novembre 2006 | Le Matricule des Anges n°78 | par Pierre Hild

C’est en « pleine forme » que Julien Blaine dit ses adieux à la performance. À l’occasion de la sortie d’un livre monumental qui revient sur plus de quarante ans d’actions et de militantisme. Propos d’un homme debout.

Bye-bye la perf.

Si l’on peut encore lire Julien Blaine, si l’on peut toujours aller l’entendre pour des lectures « sèches », la perf., c’est fini. Bye-bye la perf. est un livre bilan qui mêle de nombreux documents. Un cd et un dvd. Des photographies prises lors d’actions. Des textes écrits pour ses performances. Des brouillons. Des notes autour de cet arrêt. Une foule de dossiers et tracts. Un livre gigogne qui, à sa manière, poursuit ce propos de l’auteur : « Je fais des expos pour publier des livres des livres non pas des catalogues. Le livre dans l’espace donne le livre dans le livre. »
En cet après-midi d’automne, autour d’une table à whisky, Julien Blaine revient librement sur son parcours. La parole s’enchaîne, généreuse, passant du Golem aux Indiens Hopis, de la passe difficile des éditions Al Dante au texte de veine pamphlétaire à peine sorti des presses d’Inventaire-Invention, Cuba-Cola, dont voici un extrait : « L’histoire, la raison, la vérité doivent-elles toujours être celles des vainqueurs./ la loi du plus fort est-elle la loi humaine ?/Alors je me dis :/ par rapport à et selon cette seule question, puis-je encore écrire ?/ Faire de la poésie ?/ Essayer de changer le monde pour un futur alors que le hui est cette déplorable catastrophe ? »
Poète revendiquant l’avant-garde, Julien Blaine se démarque de nombre de ses confrères par sa recherche spirituelle. Homme de l’étang de Berre, créateur du CipM de Marseille, il fut aussi cet « internationaliste » qui fit découvrir nombre de poètes étrangers par ses revues Docks, étant peut-être la plus fameuse. Créateur de nombreux festivals, Blaine est un artiste et un passeur, un « poète total » qui ne peut dissocier écriture et action.

Julien Blaine, vous vous définissez comme un poète élémentaire. Qu’est-ce à dire ?
Je suis poète élémentaire en ce sens que tout élément me sert à faire ma poésie. Dans ces éléments, il y a tous les écrits de jadis, tous les éléments oraux, ainsi de suite.
Le livre est toujours lié à une technique et ce résidu-là, cette espèce de réceptacle poubelle qu’est le livre, reste pour moi très important. Pendant très longtemps, on n’a travaillé que sur la calligraphie, puis on invente la typographie mais on reste toujours avec l’idée de faire des livres qui pourraient tenir de la calligraphie. Puis, on invente l’offset mais, y compris aujourd’hui, on reste dans des livres de typographie. Regardez les romans. L’offset permet de reproduire tous les éléments que l’on veut mettre dans un poème, les éléments de la typographie, ceux de la calligraphie, mais aussi des transformations : je peux glisser et déchirer une photo, laisser la pluie tomber sur une page jusqu’à ce qu’elle efface une partie du texte, je peux mettre du sang, déchirer un mot, ou, si un mot ne suffit pas, associer une icône, une vignette, un détritus. Aujourd’hui, on est passé de l’offset à la toile des programmes informatiques. Si on commence à savoir un peu que l’offset existe, on est encore dans un procédé de reproduction qui ne fonctionne pas.
La poésie élémentaire, c’est en ce sens rajouter la notion d’élément à la poésie. Au début des années 60, c’était aussi, pour moi, faire un clin d’œil au cours préparatoire, au primaire. Pour moi, j’en étais alors au cours élémentaire.

Vous avez cherché à établir des règles de composition applicables à cette technique de l’offset…
J’étais fasciné par le sonnet et sa grande rigueur formelle. Au début des années 60, notre poésie était une somme de libertés et de divagations où forcément, le meilleur côtoyait le pire. J’ai voulu faire, moi aussi, une sorte de règle aussi stricte que celle du sonnet pour la calligraphie. Cette règle adaptée à l’offset c’est le poème métaphysique.
J’avais vu dans les livres typographiques, par exemple les livres de Jules Verne, ces images légendées d’une petite ligne qui nous faisaient effectuer des va-et-vient entre ces images et le texte. De là, j’ai établi des variations une ligne de texte et une autre, une image et une autre…, toujours séparées par une sorte de conjonction de coordination qui était un filet, entre les deux parties du texte, une sorte de ligne d’horizon qui me permettait de rentrer dans le livre mais aussi dans une forme très rigoureuse liée au livre et au poème, tout en renvoyant, sans trop de ridicule, à une dimension plus cosmique.
Je suis allé au bout de l’idée en continuant avec un mot en haut et un mot en bas toujours séparés par cette ligne. Aorte-oasis, par exemple. En essayant de comprendre ce qui se jouait, là, dans cette juxtaposition, cette addition, cette soustraction.

Vous dites « la poésie est la seule croyance absolue dans laquelle tu sais que tu as tort », vous parlez de l’échec de la poésie, mais, sans gêne apparente vous vous revendiquez poète.
Oui. Je juge cela très important. C’est la seule façon de montrer au mass media qu’il y a une résistance. On se heurte actuellement à une médiatisation mondiale qui joue sur le monothéisme religieux. Les fanatismes religieux, Bush, Poutine et l’orthodoxie, Israël, Al-Quaida… Se revendiquer poète, c’est résister à la médiatisation absolue et rester dans une certaine ligne. Une ligne de poètes qui part de l’aurignacien supérieur, il y a trente-cinq mille ans, jusqu’aux poètes d’une vingtaine d’années. Un désir de transformer le monde, qui tout en le disant, va avec l’idée qu’on y arrivera pas. Une crétinerie absolue, une idiotie, une envie d’essayer, pas si folle, utopique.
Des émissions de poésie, à la télé, il y en a eu deux ou trois, pas plus. Dont une de Laure Adler où j’étais invité avec Adonis et ce Michel Houellebecq qui écrit comme Théophile Gautier. Le lendemain, les médias étaient pleins de cela. De l’Express à Libération tout le monde rendait compte de ce qui s’y était dit…

Vos débuts, c’est 62 et cette performance avec les éléphants ?
Oui, c’est ma première performance. Avant, j’avais écrit des textes dans des revues libertaires Défense de l’homme, le Jeune Libertaire…, notamment, un poème très rimbaldien sur la guerre d’Algérie, et un texte sur les rapports de la ponctuation et de l’espace : le point d’interrogation et les étoiles…
J’étais fasciné par le bestiaire d’Apollinaire. J’ai voulu faire un bestiaire. J’avais un magnétophone Philips à trois vitesses et je suis allé réaliser une interview des éléphants du cirque Franchi. Je leur posais des questions sur les autres animaux. Ils s’en foutaient royalement, hein. Puis en rentrant chez moi, j’ai joué sur les vitesses jusqu’à rendre mes questions inaudibles. C’était une sorte de traduction inter-espèce.
Pour moi, commencer ainsi c’était poursuivre une tradition. Ne pas se contenter de lire un texte, poursuivre ce que faisaient les Tang, les troubadours ou les avant-gardes. La poésie a toujours été orale, physique, même les romantiques, qu’est-ce qui nous dit qu’ils ne gueulaient pas leurs textes dans les îles Baléares ou ailleurs.

1962, c’est aussi ce texte des Carnets d’Octéor où vous dites qu’il faut « comprendre la poésie dans une technique neuve », que « s’il faut des sanglots, que ce soient des sanglots tout court ».
Il y avait cette question du faire, de l’action et de la transformation de la création par les outils modernes, chose que je poursuis ici, avec Bye-bye la perf, en utilisant aussi le cd et le dvd. À l’époque c’était des machines très simples, comme des poulies ou des treuils. Pour moi, c’était le découpage, le cut-up, des poèmes faits en plomb que je passais ensuite au marteau ou à l’acide pour découvrir de nouvelles apparitions du texte. La technique provoquait une autre façon de dire et faire du texte. Le poète est fait pour dire, transformer, mais à l’époque, on était dans un temps très coincé. Même quinze ans plus tard, quand j’ai créé mon premier festival de poésie à Cogolin, les poètes ne voulaient pas parler, monter sur scène. J’y ai fait venir Louis-René des Forêts. Il y a fait une superbe lecture. Il en avait sûrement envie depuis des années… le public était fasciné.
Un texte écrit, ce n’est rien comparé à la façon dont je vais le penser et l’articuler.

Être de son temps, ne va pas chez vous sans le souci de travailler à rendre la mémoire d’une histoire occultée. Une histoire à trois branches : l’histoire de l’avant-garde, l’histoire d’une certaine pratique occidentale de la poésie peu enseignée, l’histoire de certains peuples qui allieraient poésie, oralité, spiritualité.
Exactement. L’enseignement de la poésie est souvent très normatif. Regardez Mallarmé. Il a fallu attendre la deuxième édition de La Pleïade pour avoir une version exhaustive de ces textes. La première thèse sur Apollinaire doit dater, elle, de 56.
C’est avec les avant-gardes que les questions du corps, de la gestualité, de la provocation sont réapparues. On avait perdu cette mémoire du corps avec cette autre forme de génocide qu’accomplit Innocent au Moyen Âge, quand on a massacré ces gens qui faisaient des soupes un peu particulières, qui chantaient et dansaient jusqu’à n’être plus tout à fait pareil.
Il a fallu que j’aille la chercher, cette mémoire du corps et de la voix. Au Cameroun, vers l’Amazone, avec mon ami Jean Monod. C’est un peu l’histoire de mes Cahiers de la cinquième feuille. Ces graffitis d’animaux et de vulves, ces histoires de mains positives et négatives. Je parle là de 35000 ans d’Histoire et, ce qui nous domine, c’est 6000 ans de monothéisme. On ne connaît plus les mystères de cette création, on les redécouvre, un peu, avec la mise au jour de grottes, notamment. On va, je pense, continuer à retrouver les traces de ces civilisations qui avaient un vrai rapport spirituel.

Avec d’autres, vous avez aidé à faire connaître une autre histoire de la poésie, celle aussi des avant-gardes. Mais cette troisième branche, spirituelle, semble peu prise en compte par la jeune génération de poètes…
La grande confusion, qui fait qu’on ne sent pas cela chez de jeunes poètes pleins de talents, c’est cette réaction de culpabilité par rapport au monothéisme. Regardez les avant-gardes. Elles ont joué sur la provocation, la laïcité, l’athéisme… Les troubadours, les Tang, la Renaissance, c’est à chaque fois deux à trois siècles d’histoire. Si l’on prend Mallarmé comme point de départ de l’avant-garde, nous ne sommes qu’à mi-chemin. On a encore un siècle d’explorations devant nous. C’est un point qui me traumatise, c’est sûr, ce versant spirituel. Mais regardez bien certaines performances de femmes. Il s’y trouve un rapport rituel qui n’est celui de tel ou tel monothéisme.
Bye-bye la perf., c’est passer par le livre pour montrer des choses qui sortent de « la tyrannie de l’écriture » ?
Le livre c’est ce résidu qui reste, dont on ne peut pas se contenter. Mais le livre c’est aussi un objet incontournable. Celui-ci tâche d’utiliser les outils contemporains. Le cd pour présenter le travail que je fais avec Etienne Brunet. Le dvd pour résumer certaines des 50 heures de la tournée Bye-bye la perf que j’ai faite à travers le monde.

Installations, expositions, performances, textes écrits pour la scène ou textes plus visuels… on a le sentiment que chaque pratique nourrit l’autre.
Je pars toujours d’un texte qui devrait s’arrêter mais qui finit par se transformer en partition, en autant de variantes du texte original. À l’inverse, pour rendre lisibles certains textes, il faut que réfléchisse sur sa mise en espace, sur la page.
Regardez Calmar. C’était au départ un petit poème de quatre pages. Puis, je pars aux États-Unis, je me rends compte que ce n’est pas fini, que ce texte doit se poursuivre pour raconter la barbarie de ce pays dans les années 90… On n’est jamais dans un texte fini. Le rapport physique, gestuel, vocal, va transformer chaque fois le texte. Je suis l’auteur initial, puis une multitude d’autres auteurs viennent compléter ce texte quand je le donne en public.

Cet adieu à la performance doit être difficile. Vous la pratiquiez depuis plus de quarante ans.
J’ai très tôt pensé qu’on ne pouvait se contenter du texte enfermé dans le livre, qu’il fallait passer par cette épreuve. La performance, c’est une discipline culturelle, artistique. Chacun la pratique à sa façon. Jean-Luc Parant et ses litanies, Michèle Métail et ses compléments de noms, Jean-Jacques Lebel et ses happenings.

La performance est une discipline qui permet à la poésie de convoquer d’autres arts ?
Je crois avoir la réponse à cette question très importante. Pour moi, c’est le contraire. La poésie ne convoque rien. Elle a ça en elle. Le corps, les arts plastiques, la musique, la danse… En faisant cela, on est tout simplement un vrai poète, total, absolu. Percer des conques, avoir sur scène des cornemuses ou la contrebasse de Joëlle Léandre, c’est établir un rapport aurignacien mélangé à des choses d’aujourd’hui.

L’inspiration, pour vous, c’est une question physique ?
C’est ça qui me fait arrêter la performance. Je peux encore vociférer mes poèmes mais reprendre des disciplines où le risque physique est présent, où le corps, le souffle comme dans le Chi est impliqué de manière paroxystique, je ne peux plus. Exhiber ma faiblesse, très peu pour moi. Je me suis inscrit dans autre chose.

Bye-bye la perf., c’est un chantier. Vous montrez des brouillons, des notes, des textes biffés, tachés. C’est un livre qui suinte.
Quand on lit les chantiers de Francis Ponge, il y a cet espace-là mais il reste dans la typographie. Ma volonté, c’est celle-là. Montrer au lecteur comment les choses se fabriquent : les étapes, les développements. Je fais la même chose dans mes textes plus typographiques. Pagure, par exemple, avec cette loupe qui permet de lire des textes en petit corps, qui présentent un autre aspect du texte.

Pourquoi cette volonté de poser comme un mannequin, photographié avec vos costumes de scène ?
C’est une partie mortifère. Je veux montrer que c’est fini, qu’on ne le verra plus, qu’il ne reste que les oripeaux.

Vous entendez quitter le poème en « pleine forme », dites-vous. Est-ce la seule raison ? N’êtes-vous pas inquiet par le statut actuel de la performance ?
C’est vrai qu’il y a une perte d’identité possible. La performance est entrée dans les mœurs de l’histoire de l’art et des écoles de Beaux-arts. Et ces personnes qui doivent en parler ne savent pas ce que c’est. À part quelques livres comme celui d’Arnaud Labelle-Rojoux qui en parle très bien…

Vous invitez nombre de jeunes performeurs dans vos programmes, de jeunes poètes qui usent de nombreuses machines. Mais, n’avez-vous pas, personnellement, une certaine gêne technique vis-à-vis de la machine ?
Je trouve que Laure Limongi, Christophe Hanna ou Joachim Montessuis font un travail remarquable avec la machine. Mais, moi, je me méfie de la machine. Ce transfert, ce filtre, ça ne me va pas, personnellement. Moi, j’ai besoin d’un rapport direct. Un rapport avec l’auditoire avec un minimum de technique. Je peux me régaler de ce travail-là, mais ce n’est pas le mien. De ce point de vue-là, Charles Pennequin, Christophe Tarkos, c’est plus proche de mon travail.

Arrêter la perf, c’est se recentrer sur d’autres activités ? Écrire sous d’autres formes ?
Non, il n’y a pas de vrai changement. Je suis obligé d’abandonner les textes qui étaient liés très directement à la performance. Mais dans l’écriture des « résidus », il n’y pas de changement. Et puis, il reste ce que j’appelle les « déclaractions », et les tournées liées au travail musical avec Etienne Brunet.

Cuba-Cola, qui vient de paraître, s’inscrit dans une veine directement politique et pamphlétaire.
Je ne pensais pas le publier mais Patrick Cahuzac et Garance ont voulu le publier tel quel. Je suis très content de ce livre qui prouve que, selon moi, Fidel Castro est un agent de la CIA. (rires).

Julien Blaine
Bye-bye la perf.
Al Dante & Adriano
Parise
n.p., cd, dvd, 42
Cuba-Cola
Inventaire-Invention
68 pages, 6

Sortie de scène Par Pierre Hild
Le Matricule des Anges n°78 , novembre 2006.
LMDA papier n°78
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