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Essais Le regard nu de Sade

janvier 2007 | Le Matricule des Anges n°79 | par Richard Blin

Tout dire, ou comment à travers l’insoutenable théâtre de l’imaginaire du corps, Sade pense l’impensable ? Une leçon de lecture signée Annie Le Brun.

On n’enchaîne pas les volcans

Il y a longtemps déjà qu’Annie Le Brun a discerné dans la singularité sadienne une pensée dont l’insoumission essentielle, l’odeur de soufre et le panache de feu, dominent l’horizon des Lumières. Dans Soudain un bloc d’abîme, Sade (1986, repris en Folio/Essais un ensemble conçu comme introduction aux œuvres complètes du marquis de Sade), elle soulignait l’enjeu d’une telle lecture, pointant sous le romanesque, l’essence d’une pensée dont la subversion s’enracine au plus profond des souterrains de l’être. Aujourd’hui, avec On n’enchaîne pas les volcans, elle revient sur le sujet, comme pour l’enrichir et en donner la synthèse. L’ouvrage rassemble quatre conférences qui s’articulent toutes autour du scandale absolu que représente la volonté de Sade « de penser à partir de sa singularité sexuelle », d’affirmer que c’est même elle qui détermine « absolument sa conception du monde », quand tous, même en vain, précise Annie Le Brun, s’efforcent au contraire de relativiser leur particularité pour se soumettre à l’ordre commun.
Que dit-elle, cette pensée ? Que veut-elle ? D’abord, « déraciner » Dieu du cœur des hommes, proclamer l’inanité divine. Dieu, dit Sade, est l’absence même, la chimère absolue, celle qui par son manque d’être ne suscite que du manque à être, et prive les hommes du sens de leur vie. « Dieu est le seul tort que je ne puisse pardonner à l’homme ». Athéisme fondamental qui, débarrassant l’espace mental de l’idée de Dieu, invite à reconsidérer la place de l’homme dans l’univers. La nature, la vie, participent des vicissitudes d’une matière en mouvement. Tout n’est que métamorphose comportements humains comme manifestations de la nature. Si la nature détruit (tempêtes, tremblement de terre, éruption volcanique…), si l’écart, la cruauté, le mal lui sont consubstantiels, pourquoi en irait-il autrement pour la nature humaine ? Si Dieu n’existe pas, et si le mal est présent dans la nature, tout est donc permis. Et comme pour Sade, il n’y a que des idées incarnées, il va théâtraliser la « continuelle surenchère de la tête et du corps », mettre en scène la double épreuve des idées par le corps, et du corps par les idées. En matérialisant le désir libertin, il va tirer toutes les conséquences physiques de son athéisme, les poussant jusqu’à l’insoutenable.
Univers du « tout est permis » qu’il met à nu en représentant l’irreprésentable, en dévoilant, à travers l’imaginaire du corps, le corps de l’imaginaire. Car c’est l’imagination qui permet à l’homme de dépasser les limites qu’impose la nature, et de trahir ainsi en lui, un excès insensé. D’où le catalogue de jouissances, de perversions, de désirs, tous plus inavouables les uns que les autres, que Sade soumet au feu des passions et à l’enchantement d’une logique de contes de fées. Univers de surenchère et d’illusion qui lui permet de les parler (ces désirs), de les penser, de les ordonnancer, et de nous les donner à voir, nous entraînant ainsi « dans l’abîme de la plus affolante perte d’identité érotique où, soudain fascinés par ce qui nous répugne le plus, nous ne savons plus qui nous sommes ». Et Annie Le Brun de nous faire remarquer qu’ « en nous faisant sentir physiquement l’irréalité, l’envahissante irréalité du désir, occupant à chaque fois tout l’espace pour s’effondrer avec sa réalisation », Sade ne fait qu’illustrer l’inexorable loi qui veut que l’objet du désir ne se manifeste jamais que comme trahison du désir.
Fatalité du désir qui fait le malheur du héros sadien comme l’explique l’un d’entre eux. « En vérité, Juliette, je ne sais si la réalité vaut les chimères, et si les jouissances de ce que l’on n’a point ne valent pas cent fois celles qu’on possède : voilà vos fesses, Juliette, elles sont sous mes yeux, je les trouve belles, mais mon imagination, toujours plus brillante que la nature, et plus adroite, j’ose le dire, en crée de bien plus belles encore. Et le plaisir que me donne cette illusion n’est-il pas préférable à celui dont la vérité va me faire jouir ? Ce que vous m’offrez n’est que beau, ce que j’invente est sublime ; je ne vais faire avec vous que ce que tout le monde peut faire, et il me semble que je ferais avec ce cul, ouvrage de mon imagination, des choses que les Dieux mêmes n’inventeraient pas ».
Cette réalité qui n’est pas à la hauteur de l’imagination, il n’est que Juliette pour en faire le principe de sa soif d’absolu érotique, comme le démontre Annie Le Brun, dans le texte où elle s’attelle à la question de savoir « Pourquoi Juliette est-elle une femme ? »
C’est cela, Sade : une débauche de la pensée, doublée de la volonté de dire ce que personne ne veut entendre : l’intolérable, l’inconcevable, l’inavouable. Et il le dit à travers une forme « susceptible de tromper l’impensable ». Fureur du corps, fureur de l’esprit, qui, pour Sade, fondent la liberté, une liberté qu’il juge « impensable sans ce refus de l’impensable ».
Un ouvrage passionnant, donc, prouvant la lisibilité de Sade car si illisibilité il y a, elle vient des inhibitions et des interdits du lecteur et nous rappelant combien nous lui sommes redevables, « non pas de nous donner des idées, mais de nous en enlever, de nous défaire de tout ce qui sert à nous tromper sur ce que nous sommes ».

On n’enchaîne pas
les volcans

Annie Le Brun
Gallimard
190 pages, 16

Le regard nu de Sade Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°79 , janvier 2007.
LMDA PDF n°79
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