Un homme croule sous les dettes. Sa femme le quitte. Un mandataire liquidateur vient le déposséder de tous ses biens. Hormis les biens nécessaires à la vie courante. « Le lit. La table. La chaise. Le radiateur électrique. Le réfrigérateur. Ce qu’il y a dedans. De quoi cuire ce qu’il y a dedans. De quoi manger ce qu’il y a dedans. Et vos frusques. Voilà. C’est ce qui s’appelle « le reste à vivre ». Je n’y touche pas. (…) Comment vous reconstruisez, comment vous poursuivez votre existence avec, pour ça vous avez : vos mains… vos bras… vos jambes… vos pieds… votre tête… votre force… votre raison… votre imagination… votre volonté… votre libre arbitre… votre endurance… votre résistance… votre génie… Je n’y touche pas non plus. »
L’homme se met à lire un livre, L’homme qui rétrécit, dont le héros, le Shrink, perd trois millimètres par jour. L’homme va s’identifier au personnage du livre. Il en fait même une révolution de vie. Ainsi lorsque le Shrink haut de deux centimètres a faim, c’est un véritable combat pour lui d’ouvrir le frigidaire. Pour l’homme, c’est aussi un rude coup porté au consumérisme, car s’il coûtait autant à tous d’ouvrir la porte du frigidaire, on l’ouvrirait moins souvent et cela pourrait inverser l’orientation dominante du marché.
Pour David Lescot : « Je vois dans cette « faillite civile » une irrésistible machine de théâtre, qui ne demande qu’à être mise en drame, parce qu’elle se situe à la jonction d’une réalité sociale et d’un imaginaire intime, et qu’elle invite à observer le monde comme seul peut le faire le théâtre : avec étonnement et incrédulité. Je voudrais faire mienne cette formule de Günther Anders, grand commentateur de Kafka : « altérer afin de constater », à savoir déformer un peu, très légèrement, la réalité, pour découvrir comment elle fonctionne vraiment. »
Dans notre société de surconsommation et donc de surendettement, le décalage dont parle David Lescot permet d’imaginer avec humour un univers où l’homme, privé de ses possessions matérielles, entrerait en résistance. À la fin de la pièce, le Shrink, haut de quelques microns, prend un temps infini pour déchiffrer chaque lettre du livre. Il commence bien évidemment à voyager sur le A.
Un homme en faillite de David Lescot, Actes Sud-Papiers, 56 pages, 8,50 €
Théâtre Le reste à vivre
février 2007 | Le Matricule des Anges n°80
| par
Laurence Cazaux
Un livre
Le reste à vivre
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°80
, février 2007.