Voilà un texte qui fait du bien aux oreilles et aux papilles. Il est écrit pour quatre comédiens sur scène. Quatre de la même fratrie, qui vont pendant toute la pièce cuisiner en direct un plat « retrouvé de l’enfance ». En même temps, ils vont jouer à être des personnages (un professeur, son assistante…) pour se raconter intimement à travers leur rapport à la nourriture. Car, nous préviennent-ils, manger est un fait complexe, qui oblige à aller voir ailleurs, du côté des émotions. Nous sommes ce que nous mangeons et comment nous le mangeons, et entre l’anorexique et le boulimique, la palette de l’humain est immense.
Plat de résistance est une pièce toute en sensualité, une ode à la vie. Dans notre monde où tout devient immatériel, Jean-Yves Picq nous invite à nous raccrocher à la matière. Les cuisiniers, les vrais de vrais seraient finalement « les derniers grands prêtres de ce fichu monde à en connaître la vérité et la beauté dans le détail »… Et de citer tout un panel de saveurs, de sensations : le sucré, le salé, l’acide, l’amer, le froid, le chaud, le plein, le coulant, le charnu, le maigre, le gluant, le velouté, l’aqueux, le crémeux, le sablé, le feuilleté, le brûlant, l’astringent, le piquant, le mordant, le croquant, le croustillant, le feutré… Toutes ces saveurs sonnent comme un appel à redonner le goût des mots à partager.
Le théâtre et la cuisine ont beaucoup en commun, le plaisir de la bouche, des mots ou des mets, un invité à recevoir, le rituel de la préparation d’un repas, d’un texte, d’un spectacle, les sens à titiller… La proposition au final est toute simple : dans notre monde tout cassé et ballotté, peut-être qu’en prenant simplement le temps de partager des mots et des mets bien préparés, on deviendrait comme le Petit Poucet qui retrouverait un bout du chemin pour goûter au monde, avec juste un petit caillou dans la main.
Plat de résistance de Jean-Yves Picq, Lansman, 46 pages, 8 €
Théâtre Le goût des mots
février 2007 | Le Matricule des Anges n°80
| par
Laurence Cazaux
Un livre
Le goût des mots
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°80
, février 2007.