Il est des livres qui dès les premières lignes ouvrent à nos sens de précieux espaces de plaisir. D’emblée, une aisance, une liberté de ton, quelque chose d’iconoclaste et d’égarant suscitent le désir d’avancer vite dans la découverte d’un territoire qu’on devine riche en commotions secrètes. Les livres de Julián Ríos appartiennent à cette catégorie, comme ceux d’Arno Schmidt (dont il fut le premier éditeur en Espagne), de Joyce, de Pessoa, de Calvino, de Nabokov. Romancier, essayiste, critique d’art, Ríos est l’auteur d’œuvres de fiction, de critique-fiction et de « romans peints » qui témoignent de sa complicité créatrice avec des peintres comme R. Lichtenstein, A. Saura, E. Arroyo ou R. B. Kitaj. Avec Chez Ulysse, c’est presque d’une gageure qu’il s’agit. Roman sur le roman l’Ulysse de Joyce, c’est un peu à l’insaisissable Protée que s’attaque Ríos. Sous la conduite d’un cicérone et encadrés par un mentor (du nom d’un fidèle ami d’Ulysse), et par « l’homme au Macintosh », dont l’écran apparaît régulièrement sur la page trois personnages, trois lecteurs d’Ulysse un lecteur d’âge mûr, une jeune lectrice et un vieux critique, respectivement appelés A, B, et C s’entretiennent du chef-d’œuvre de Joyce en visitant le musée qui lui est consacré. Étourdissant de virtuosité, d’humour, de connivence, voici donc un roman dont le héros est « le livre des livres ». S’embarquant, et nous embarquant, sur l’immensité navigante de cette mer de mots, Julián Ríos va s’attacher à saisir le mouvement qui tourne l’écriture joycienne.
Face à ce texte, aux « alluvions de visions, d’illusions et d’allusions » qu’il charrie, il va s’ingénier à en faire miroiter les multiples facettes, en l’investissant, en l’habitant pour mieux donner à entendre tout ce que le sens commun a tendance à ne pas voir ou à refouler. Car le texte joycien est un texte retors produisant sans cesse de fausses pistes, utilisant des réseaux de symboles et de correspondances, s’ouvrant à l’incongru d’énigmes hypnotisantes ou de portes sans clé. C’est cet univers au chatoiement rhapsodique, c’est cette écriture rusée que Julián Ríos désamorce, déconstruit, détisse. Son texte naît de cette matière détissée puis retissée et comme métissée par les commentaires des lecteurs, « l’A,B,C d’Ulysse », dont chacune des voix possède son point de vue, et son registre.
Dynamiteur de formes, archiviste de toutes les mémoires, Julián Ríos invente d’autres modes de perception.
Gardant la structure de l’original, qui lui-même avait gardé celui de l’Odyssée, (à savoir la Télémachie, qui montre les efforts du fils d’Ulysse, Télémaque, pour retrouver son père ; l’Odyssée proprement dite, avec les voyages et les aventures d’Ulysse ; puis Nostos, le Retour à Ithaque, avec la reconquête du pouvoir et les retrouvailles du foyer) Chez Ulysse revisite chaque chapitre. On sait que l’Ulysse de Joyce suit le cours d’une journée, le 16 juin 1904, (jour de la rencontre de Joyce avec Nora, la...
Événement & Grand Fonds Délires de Ríos
mars 2007 | Le Matricule des Anges n°81
| par
Richard Blin
L’ivresse, la fougue, l’intelligence, l’humour, c’est l’air du grand opéra de la relation jubilante à la fièvre de lire et d’écrire, qu’entonne pour nous l’auteur espagnol. D’Ulysse à Alice.
Un auteur