La prison, c’est un peu comme ce que les astronomes appellent le « trou noir » : un lieu où il n’y a plus ni espace ni temps « . Bui Ngoc Tan connut sa part de néant entre 68 et 73, cinq années qui l’éloigneront de l’écriture pour longtemps et du français à son corps défendant pour toujours. Né en 1934, jeune militant communiste puis journaliste il eut à souffrir de la guerre et de la faim, des B52, des désillusions et des procès instruits en langue de bois. Comme ses compatriotes et ses héros proches par leur simplicité et leur capacité à transcender un sort misérable. Un gardien partage les mêmes rêveries que ses prisonniers au beau milieu de la jungle. Une prostituée que seuls les mendiants ont envie de courtiser économise pour offrir un linceul à sa mère grabataire. Pour décrire la cruauté d’un » caïd de la taule « occupé à faire surveiller quatre fourmis par ses pensionnaires, Bui conserve encore sa sollicitude et une distance teintée de délicatesse, sans amertume ni cynisme. L’âge de la sérénité atteint il n’oublie cependant rien des moments sombres et lorsqu’il traduit l’angoisse d’un homme emprisonné avec un style haletant, des phrases courtes, on croit entendre son cœur résonner contre les parois métalliques de son cachot mobile. » Une vie de chien « met en scène Kiki et son maître Trung, ponte de la Sécurité placardisé. Un lien de plus en plus fort se noue entre l’ancien résistant abandonné de tous et le chien qui le veille dans sa lente descente aux enfers : » Comme un milliardaire ruiné qui reste assis devant ses coffres vides, lui, passait des heures à regarder ses cicatrices ". La douleur puis la mort de l’animal sont relatées avec une justesse et une vigueur d’émotion prouvant le talent d’un auteur qui sait restituer leur grandeur aux petites vies brisées par l’Histoire.
Une vie de chien de Bui Ngoc Tan
Traduit du vietnamien par Dan Tran Phuong, Nguyen Ngoc Giao, Vu Van Luan et Janine Gillon, Éditions de l’Aube, 174 pages, 16,20 €
Domaine étranger Les douleurs silencieuses
avril 2007 | Le Matricule des Anges n°82
| par
Françoise Monfort
Un livre
Les douleurs silencieuses
Par
Françoise Monfort
Le Matricule des Anges n°82
, avril 2007.