Gustave Guiches est entré dans l’histoire par effraction, et assez jeune encore, en cosignant avec Paul Bonnetain, Lucien Descaves, Paul Margueritte et J.-H Rosny un texte resté fameux, publié dans le Figaro du 18 août 1887 : c’est le « Manifeste des Cinq », un pamphlet des moins amène dirigé contre Emile Zola. De façon inattendue, de jeunes naturalistes brûlaient ce qu’ils avaient adoré et s’en prenaient au maître auquel ils reprochaient son « lâchage ». Occupé ailleurs, Zola n’avait guère l’envie de cornaquer une compagnie d’apprentis en quête de gloire et avait commis l’irréparable en exprimant cette bien légitime position. Si, un demi-siècle plus tard, Guiches regretta sa participation à l’accès de mauvaise humeur, il se trouvait alors dans une position délicate. Familier du grenier des Goncourt à la grande époque des deux frères, la rumeur le suppose en 1929 pressenti pour remplacer Courteline au jury du prix Goncourt. Une rumeur qui fait réagir l’éditeur-romancier Georges Duhamel, défendant sa boutique, s’ouvre à Paul Léautaud de son rude avis : « Guiches ! ils finiront par se déconsidérer tout à fait, à recueillir ainsi toujours les épaves (…) il lui est arrivé de vendre trois fois le même livre à autant d’éditeurs différents. Je sais bien que c’est courant chez les gens de lettres. Mais, enfin, tout de même… »
Fils d’un receveur municipal, Guiches, né le 18 juin 1860 à Albas (Lot), monta vite à Paris pour y entamer une carrière dans les Lettres. En vaillant disciple du naturalisme, il débute naturellement par un roman, Céleste Prudhomat, mœurs de province (Librairie Moderne, 1887) où il punit d’une mort affreuse l’immoralité présumée des institutrices de la « laïque ». Naturaliste peut-être, Guiches n’en était pas moins un réactionnaire, ce dont on fit mine de ne pas s’apercevoir alors. L’année suivante, il s’en prit au phylloxera dans L’Ennemi qui lui offrait de tracer le tableau des ravages sociaux et naturels de cette maladie de la vigne, de quoi plaire à Huysmans qui lui écrit : « Vos paysans sont odorants et faisandés à point (…) Au reste, tout ce phylloxera est grandiloque. C’est une vraie ritournelle de désolation (…) c’est la célébration artiste de la mitoyenne imbécillité et de l’ordinaire ordure d’âme des personnages. » S’ils manifestaient de belles dispositions littéraires, ces succès d’estime ne suffirent pas à maintenir la carrière de Guiches à flot. Parfois considéré comme un faiseur, Guiches souffrit vite d’un grave « déficit d’image » contre lequel il se trouva démuni, au point que depuis sa disparition le 3 août 1935 à Paris, aucun de ses livres n’avait été réédité jusqu’à la récente reprise de ce qui reste son œuvre essentielle, Au Banquet de la vie (Spes, 1925), suivi du Banquet (Spes, 1926), deux volumes de souvenirs réunis par une paire de connaisseurs au nez creux. Ces mémoires rendues aux lecteurs devraient restituer à Guiches tout son intérêt et toute sa pertinence. Et si l’on a relégué sa trentaine de romans, de drames et de comédies au placard malgré ses succès au théâtre (Les Quarts d’heure, 1888), les mémoires de Gustave Guiches sont depuis longtemps déjà pain béni des chercheurs qui y trouvent des renseignements de première main sur Alphonse Daudet, Joris-Karl Huysmans, Léon Bloy, Villiers de l’Isle-Adam, Maurice Rollinat, Jean Lorrain, Mallarmé, Charles Buet, Barbey d’Aurevilly, Paul Verlaine dont il partagea les heures et parfois l’intimité.
Fréquentant dès son arrivée à Paris en 1882 les cercles lettrés, Guiches eut la chance d’être conduit par les amitiés paternelles dans le salon de Charles Buet (1846-1897), personnage clé de son irruption littéraire et notoire oublié, qui lui permit de passer par les portraits précis et les anecdotes véridiques qu’il en traça à la postérité. Et qu’il traça avec autant d’élégance que de fidélité. Témoignent ses mots sur Jean Lorrain : « C’est un grand gars normand. Il est taillé en force et en santé. Pourtant son aspect inquiète et l’on sent que, dans ce robuste (…), il y a quelque chose qui… ne va pas, ou bien qui va trop fort. Il a les joues pleines et blafardes, la tête pointue, les cheveux si rabattus qu’ils mangent le front jusqu’aux sourcils, les yeux désorbités (…). Il porte un complet prune d’une élégance et d’un ajusté à donner le frisson. Un allégorique joyau devrait mieux se cacher dans les plis de son plastron feu, et sa présence inflige à toute la maison quinze jours de parfum. Il est entré en littérature avec une merveilleuse gerbe de fleurs qui, tout à la fois, embaume et empoisonne(…) » Autre témoignage essentiel sur Léon Bloy (avant la brouille) ou sur Maurice Rollinat, le poète des Névroses. Dans son journal, Jules Renard rapporte la confession que lui fit Guiches. Celui-ci « fait du Rollinat jusqu’à ce qu’un de ses amis, qu’il assommait en lui lisant ses vers, lui ait dit « ce n’est pas ta voie » ». L’ami avait dit vrai et l’on doit à l’intuition de cet anonyme les souvenirs parmi les plus dignes de confiance, riches de très belles pages, élégantes et parfois très émouvantes, comme ce portrait unique d’Anna Meunier, la compagne de Huysmans, qui avait « la grâce défaillante d’un lys blessé à mort ».
Éric Dussert
Au Banquet de la vie
Gustave Guiches
Édition établie par R.-P. Colin et E. Walbecq
Du Lérot, 351 pages, 40 €
Égarés, oubliés Le mémorialiste fidèle
mai 2007 | Le Matricule des Anges n°83
| par
Éric Dussert
Disciple du naturalisme, signataire du « Manifeste des Cinq », Gustave Guiches (1860-1935) n’a pas multiplié les coups d’éclat… Jusqu’à la publication de ses volumes de souvenirs.
Un auteur
Le mémorialiste fidèle
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°83
, mai 2007.