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Domaine étranger Les méandres de la mémoire

juillet 2007 | Le Matricule des Anges n°85 | par Jérôme Goude

Au-delà du récit de familles tourmentées et cernées par le péril nationaliste, « Une méditation » de l’Espagnol Juan Benet est le laboratoire d’une écriture excavatrice.

Alors que d’aucuns proclament la mort du roman, d’autres l’interrogent encore. Chaque fois, cet objet versatile et corruptible semble renaître de ses cendres. Peut-être parce qu’au-delà de toute restriction théorique, le roman demeure le champ où peuvent s’exprimer et se fondre le savoir-faire et la vision singulière de qui écrit véritablement. Une méditation de Juan Benet (1927-1993) conjoint ces deux qualités. L’élaboration de cette œuvre-somme a requis un certain sens pratique. Pour ne pas céder à la tentation de se relire et soutenir un mouvement narratif tendu et faillible, Benet a mis au point un système ingénieux : un engin composé de deux bobines rotatives qui, adapté à une vieille Halda, transforme son tapuscrit en rouleau. Ni lubie ni artefact stérile, ce procédé technique traduit en acte les petits mécanismes d’une mémoire définie comme « un ensemble infini et limité de calmes instants de lumière dans un continuum obscur et mobile ». En sorte que le corps du récit lui-même est constellé de maintes lacunes.
Ce deuxième roman de Juan Benet (écrit en 1969) est composé des souvenirs épars du petit-fils d’un patriarche appartenant à la bourgeoisie régionaise. Á l’instar de William Faulkner dont l’influence est perceptible, Benet a élaboré une géographie imaginaire (Région) qui constitue l’unité de lieu de nombre de ses livres : comme le texte antérieur Tu reviendras à Région, L’Air d’un crime et Une tombe (Minuit, 1989, 1987 et 1990). L’action ténue d’Une méditation se déroule, pour l’essentiel, dans une « petite communauté rurale » située au nord de Région. Une communauté au sein de laquelle les jalousies claniques vont bon train. Aussi, les femmes de la famille du narrateur convoitent secrètement l’aisance et la distinction aristocratique des Ruan. Jusqu’au jour où l’ « irruption d’un groupe d’enfants qui, ignorants du subtil enchevêtrement tissé autour du terrain de leurs jeux, n’hésitent pas à le rompre et à violer le silence des aînés », engendre des liens inespérés. Le sort de deux originaux, la cousine Mary et Jorge Ruan, est indissociable de ce rapprochement qui, pour eux, s’avérera funeste. Plus encore, l’insidieuse hostilité de cette microsociété, qui « encourage fatalement l’horreur, la peur et la répugnance pour l’espèce humaine », est surdéterminée par l’avènement d’un drame historique.
Une méditation couvre une période qui va des prémices de la guerre civile espagnole (Juan Benet y consacre d’ailleurs un essai en 1976, Qué fue la guerra civil) jusqu’à l’instauration du régime franquiste. Région est le théâtre de ce conflit qui oppose les républicains aux nationalistes. Certains personnages périssent. D’autres fuient. Enrique, le frère de Jorge disparaît « dans la sierra derrière une bande de guérilléros ». Face à un père inique et taciturne, Jorge paiera cher le prix de cette perte. De retour en Espagne après avoir choisi l’exil, la cousine Mary sera condamnée à la solitude d’un aveuglement physique (le sien) et moral (celui de ses proches). À côté de ces données nécessaires à la vraisemblance d’une intrigue qui devient de plus en plus opaque et accessoire, Une méditation déploie un labyrinthe dans les « sentiers équivoques » duquel le lecteur se fourvoie non sans délectation.
En épousant les intermittences mnésiques d’un narrateur ayant une « connaissance imparfaite » des événements qu’il relate, Juan Benet s’éloigne sensiblement du néoréalisme espagnol. Il émaille son texte de considérations psychologiques et érotiques, puis flirte avec un fantastique inhérent au symbolisme populaire. Une méditation offre notamment une digression savoureuse sur l’amour qui « se céphalise » et le phallus qui « cogite ». Puis d’incessantes allusions à des crimes légendaires « jouissant d’immunité écrits en caractères onciaux indéchiffrables sur la grande pierre de porphyre noir » comblent les brèches de ce récit volontairement décousu, voire tronqué. Entre autres, l’histoire du père de l’Indien qui, tel le fantôme du père d’Hamlet, apparaît « dans les eaux noires du bassin » pour châtier un fils stigmatisé par la rumeur publique. Ce cycle de légendes, qui rend « impossible et vaine toute intention herméneutique de revenir aux sources véritables » et leste la mémoire de l’intime, participe d’un certain art du détour, de l’anodin et du mystère. Et ce parce que rien « dans ce voile de la mémoire mal tissé par l’espoir qui y brode l’allégorie de la mort ne conserve longtemps sa valeur et si la réalité de chaque moment exige qu’elle soit envisagée comme telle, rien de ce qui est vrai ne peut être stable ; de sorte que la vie d’une vérité dogmatique est toujours une question de jours. »
C’est pourquoi l’impulsion littéraire de Juan Benet privilégie le style aux dépens de l’histoire. Un style complexe et poétique qu’une phrase amplifiée (quasi proustienne), régie par l’impératif du dire, creuse et façonne. Car les mots « n’existent et n’adoptent leur habit véritable que moyennant une intonation, un geste et une circonstance à quoi ils demeurent définitivement assimilés grâce à cette thaumaturgie qui tisse des associations pour une volition vorace qui ne veut quasiment rien savoir de ce qui est connu et se nourrit surtout de la curiosité pour un présent inédit. »

Une méditation
Juan Benet
Traduit de l’espagnol
par Claude Murcia
Passage du Nord-Ouest
381 pages, 22

Les méandres de la mémoire Par Jérôme Goude
Le Matricule des Anges n°85 , juillet 2007.
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