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Intemporels L’homme couché

juillet 2007 | Le Matricule des Anges n°85 | par Didier Garcia

Chef-d’œuvre d’Ivan Gontcharov (1812-1891), Oblomov met en scène un désabusé qui préfère le repos à l’action. Entre farce et cas clinique.

Oblomov

Autant qu’un roman (de mœurs, russe, réaliste, satirique, et admirablement ficelé), Oblomov est un portrait, haut en couleur, du héros éponyme Ilia Ilitch Oblomov, et de sa maladie. Quelle maladie ? L’oblomovtchina, autrement dit l’oblomovisme, ce mélange subtil d’apathie, de léthargie, d’inertie, d’engourdissement, de rêverie inactive, de renoncement à la vie et d’horreur du travail.
C’est en robe de chambre que l’on découvre Oblomov, au lit, là où selon lui l’homme peut garder sa dignité. Que l’on ne s’y trompe pas, Oblomov n’a rien d’une loque : redoutant d’être châtié par son supérieur hiérarchique, il a rédigé un faux certificat médical attestant qu’il souffrait d’une « Hypertrophia cordis cum dilatatione ejus ventriculi sinistri » (c’est transparent comme du latin de Molière), et qu’il se trouvait ainsi contraint d’interrompre toute activité. Ce qui avait été écrit fut aussitôt mis en pratique : Oblomov garda scrupuleusement le lit, jouant alors son rôle à la lettre.
La position allongée a ceci de bon qu’elle laisse du temps pour penser. En l’occurrence, pour Oblomov, le temps d’élaborer un système philosophique capable de justifier ses actes et de conférer une assise presque mystique à son indolence. S’il refuse l’action, c’est avant tout pour éviter de s’éparpiller. À ses yeux, les autres ne vivent pas : au mieux ils s’agitent, « volent simplement comme des mouches, sans cesse et dans tous les sens, et bourdonnent, bourdonnent… » Au fil des années, la pratique quotidienne du lit l’a convaincu que le but de tout homme, au-delà du politique, du commerce sur les passions, est le repos. Et voici enfin ce qu’il confie à la moindre oreille charitable : « Dès les premiers instants où j’ai pris conscience de moi-même, j’ai senti que je m’éteignais » (Chateaubriand n’est pas bien loin).
On le surprend donc dans un appartement poussiéreux, et entouré de ses domestiques. Deux problèmes de taille se posent brusquement à lui : son propriétaire le somme de déménager (un comble pour qui entend ne plus bouger), et les affaires de son propre domaine vont à vau-l’eau. Qu’à cela ne tienne : si le présent ne vaut guère d’être vécu, il lui reste le passé, et mieux encore le royaume de l’enfance, l’Oblomovka, auquel une longue méditation le ramène. Quand il dort, la valetaille s’en donne à cœur joie pour le débiner, y compris Zakhar, son plus fidèle serviteur. Vers la fin du roman, sa négligence, qui passe pour de la bêtise, incitera deux minables à mettre leur esprit mesquin au service d’un complot destiné à le ruiner. Quand il ne dort pas, ou quand il dort moins, il reçoit les visites d’écornifleurs en tous genres, ou s’empoigne vertement avec Zakhar. Sinon, il passe son temps à lire, et à écrire. À écrire quoi ? On ne sait trop. Probablement quelques lettres, et encore, s’il n’a pas remis leur rédaction au lendemain. Lorsque le médecin débarque à l’improviste et lui préconise, à la vue de son teint, de marcher huit heures par jour et de s’acheter un fusil, on se laisse aller au rire.
Un jour, son vieil ami allemand, Stolz, entièrement tourné du côté de l’action, se met en tête de le soustraire à sa léthargie et de redonner un semblant d’énergie à ce propriétaire terrien désormais dépourvu d’ambition. Mais il aura beau l’introduire dans une maison où, « à la place du sommeil et du négligé, régnait la vie, et pétillait une conversation liée à l’actualité », beau l’abandonner presque dans les bras de la belle Olga, qui va tout tenter pour l’arracher à son lit (comme pour mieux l’attirer dans le sien), ce sera peine perdue. C’est qu’Oblomov n’est pas homme à franchir le Rubicon, et quand on le voit sur le point de partir à l’étranger, déménager, épouser Olga, vouloir remettre un semblant d’ordre dans l’administration de ses terres, on se doute qu’il ne tardera pas à différer ces nobles projets et à se trouver une sortie beaucoup moins honorable… Comme Stolz le lui fait remarquer, avec lui, c’est maintenant ou jamais.
Parfois, ses progrès sont tels (on le découvre capable de passer une journée entière sans s’aliter), on s’autorise à y croire. À concevoir une issue favorable, et pourquoi pas heureuse. Même Olga se laisse prendre au piège, imaginant assister bientôt à la métamorphose « que l’amour ferait subir à cette âme ensommeillée ». Oblomov mettra lui-même un point final à ces faux espoirs : « je ne me suis pas adapté au monde » et d’ailleurs, il lui a déjà fait ses adieux.
Conçu en dix ans, publié en 1859 (deux ans après Madame Bovary et Les Fleurs du Mal), Oblomov mérite de figurer parmi les classiques de la littérature russe : on a souvent comparé son style à celui de Flaubert et, en son temps, Tolstoï le tint pour une « œuvre capitale » (Dostoïevski reconnaissait à Gontcharov un « don éblouissant »). Une partie de l’intelligentsia russe vit alors en Oblomov l’incarnation des défauts qui faisaient de la Russie un pays arriéré (Stolz et son esprit d’entreprise annonçant le monde moderne). Qu’il s’agisse ou non d’une fresque socio-historique, cela n’empêche ni qu’on y rie de bon cœur (les personnages semblent directement issus du répertoire de Molière), ni que l’on prenne fait et cause pour ce personnage qui vaut bien un Don Quichotte, ni que l’on s’attendrisse pour ce paresseux d’un genre particulier, dont la paresse est peut-être l’autre nom de la sagesse.

Oblomov
Ivan Gontcharov
Traduit du russe
par Arthur Adamov
Folio classique
576 pages, 8,20

L’homme couché Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°85 , juillet 2007.
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