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Domaine français Le goût des femmes

septembre 2007 | Le Matricule des Anges n°86 | par Richard Blin

Un défi, un jeu, une danse où chacun trouve la clef de sa vraie nature : Indian tango d’Ananda Devi ou l’art d’apprendre à désapprendre à l’ombre musicienne du désir.

Née à l’île Maurice, riche d’une véritable expérience sensuelle du monde, un peu indienne, un peu africaine, un peu européenne, Ananda Devi n’est que vibration et passion. Chacun de ses livres s’ancre dans une réalité souffrante autant qu’il emprunte à la mythologie personnelle et secrète de l’auteur. De Moi l’interdite à Eve de ses décombres en passant par Le Long Désir ou La Vie de Joséphin le fou, ce ne sont que textes intenses, appelant l’adhésion, le dépassement des limites personnelles, l’abandon aux forces qui les traversent, les travaillent et nous irradient de leurs sortilèges. C’est souvent solairement tragique, intensément contrasté, ruisselant d’émotion et de beauté outragée. Parce qu’Ananda Devi ignore la demi-mesure. « Si le but n’est pas d’aller plus loin dans l’exploration de l’interdit, dans la découverte du secret humain, dans la mise en mots de l’indicible, cela ne vaut même pas la peine de commencer ». Il faut que chaque nouvel opus brûle d’un feu neuf. Besoin de témoigner, de figurer, d’approcher les mystères du désir par les chemins les plus simples ou les plus inattendus.
Indian tango relève de ce hasardeux jeu de piste et de ce refus des limites. Nous sommes en Inde, à New-Delhi, en 2004. Tandis que les esprits s’échauffent pour savoir si Sonia Gandhi, « l’Italienne, l’étrangère », est digne de devenir le prochain premier ministre, deux femmes vont se trouver confrontées à quelque chose qui ressemble beaucoup à « l’événement dont chacun est en droit d’attendre la révélation du sens de sa vie » (A. Breton). La narratrice, qui ressemble étrangement à Anada Devi elle-même, est manifestement venue en Inde « pays où rien ne meurt, où la croyance veut que tout renaisse » pour faire peau neuve, pour trouver ce nouveau que Baudelaire entrevoyait « au fond de l’Inconnu ». Un nouveau qui passe par la musique et la découverte du goût des femmes. L’histoire d’une improbable rencontre racontée, de manière légèrement décalée, à la première personne par la narratrice, et à la troisième pour ce qui implique Subhadra, l’Indienne, une femme de 52 ans, bientôt grand-mère, à qui sa belle-mère propose d’accomplir le pèlerinage de renoncement des femmes ménopausées, autrement dit d’entrer dans « le club des vieilles en blanc ». Une femme depuis longtemps prisonnière du pacte d’asservissement conjugal et de la tyrannie des habitudes. Un corps constamment effacé par « les 5 mètres d’ordre et de sagesse du sari ». Et le rêve plus ou moins conscient de vivre une dernière ampleur, de refuser le chemin de la décrépitude et de l’inutilité.
« Une lune laiteuse, voilà ce qu’elle était. Une mer de silence attendant la lumière réfléchie qui la ferait briller. Se pouvait-il que cette lumière vienne de moi ? Etais-je capable de tels miracles ? » se demande la narratrice, vite persuadée que cette femme détient la clef de la porte cadenassée qui l’empêche d’accéder à elle-même. Comprenant que ce qu’elle est venue chercher ici, c’est un partenaire à sa folie (« Une dangereuse envie d’éviscérer les habitudes, les certitudes, la sagesse d’une existence trop contrôlée. Crier, hurler, danser, se saisir de cette ombre de vie qui nous est offerte comme une aumône, apprendre à vivre plutôt qu’à subir la vie »), elle va suivre cette femme à la trace, désireuse de la rendre à elle-même. Danse à deux dans les rues de Delhi, déambulations muettes tout en variations chatoyantes parmi la chair à nouveau fruitée et immédiate du monde. « J’ai besoin d’elle pour nous délivrer, elle et moi, pour ensemble parfaire ce qu’il reste en nous d’incomplet (…), pour faire de l’écrivain un être humain et de la femme éteinte un noyau de brûlure ». Entreprise d’assomption et de dépouillement qui culminera dans « la rencontre entre un sexe et une bouche », cet acte dont il est si difficile de parler et dont « le secret et l’imminence, l’intimité et l’insolence, l’extase et l’indécence », sont peut-être le plus grand défi de l’écrivain.
Chant de séduction autant qu’invite à se débarrasser des peaux qui nous plombent, Indian tango a les vertus d’un élixir capable de neutraliser la substance désenchantée du monde. Un livre dans lequel Ananda Devi capte jusqu’au vertige l’aura du désir en acte et dans lequel elle se met en scène, est à la fois une femme et un personnage, une image et une réalité. Où elle exprime son envie « des mots de la chair, des vies de la chair, des rires de la chair ». Où elle se demande si l’écriture n’aura finalement pas toujours été « qu’une manière de parler de cela, du corps et de rien d’autre ? Des fantasmes qui peuplent les phrases, des ombres livides qui en jaillissent pour se glisser entre mes cuisses et revenir ensuite imprégner l’encre de leur glu ? » Autre forme de danse avec l’aveu, le mensonge, le rêve d’une sexualité affranchie de tout ce qu’elle implique d’altérité, d’inégalité et de culpabilité. Jouissance de la chair qui danse, « entre dans un autre langage », se fait musicale, comme l’écriture lorsqu’elle s’enfonce dans les failles du non-dit et rit de ses audaces. « Mes métaphores sont jouissives et je les aime », écrit Ananda Devi qui pourrait être la réincarnation de ce moine bouddhiste homonyme, qui vécut au Xe siècle et couvrit les murs de la grotte où il vivait emmuré, de corps ivres de volupté. Avec des luisances d’ailes d’ange enluminant un grand souffle d’air musicien et rédempteur, Indian tango en est le digne pendant.

Indian tango
Ananda Devi
Gallimard
198 pages, 15,90

Le goût des femmes Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°86 , septembre 2007.
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