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Égarés, oubliés La sœur du poète

septembre 2007 | Le Matricule des Anges n°86 | par Éric Dussert

Soutenue par l’éditeur Guy Lévis Mano, Laurice Schehadé fut écrivain comme son frère. Mais l’exilée nostalgique ne se limita pas à la prose comme ils en avaient convenu….

Le monde arabe est moins formaliste que l’Occident en matière de dates. Le temps coule différemment sous le soleil sans doute, et la vie des êtres y est perçue comme un cadeau du ciel qui ne se mesure pas. C’est, du moins, ce que l’on peut déduire du flottement général des états civils et notamment celui de Laurice Schehadé qui, comme son frère Georges, le poète bien connu, ne sut jamais si elle était née en 1908 (selon son certificat d’études primaires), en 1912 (sur son acte de mariage) ou en 1916 (d’après ses papiers d’identité). Après tout, que sont huit années dans une vie qui ne manqua pas de relief ? « J’ai l’impression que ma vie sera longue et semée de tourments, qu’en ferai-je ? Un clocher apparaît et disparaît dans ma fenêtre pour lancer sa pointe vers un ciel bas. Les étoiles se cachent autant qu’elles peuvent derrière les nuages ; le fleuve est lent et trop sage pour aimer toutes les étoiles, une seule lui suffirait, il n’en veut pas, comme toi mon amour ».
Née à Alexandrie, après sa sœur Renée et son frère Georges (né en 1905… ou en 1907), elle aborde le monde au sein d’une ancienne famille libanaise grecque orthodoxe et francophone installée en Egypte. Son père y fait le commerce du coton jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale où la chute des cours de bourse le ruine et contraint la famille au repli libanais. La fillette, puis la jeune fille y connaît des années de bonheur dans une vieille maison des hauteurs d’Achrafieh, entourée de ses parents, de sa fratrie et d’une paire d’oncles. C’est là que son existence se cristallise.
Laurice Schehadé poursuit ses études à Beyrouth au collège de la Sainte-Famille où elle commence à écrire. Son frère aîné l’encourage tout en cadrant ses tentatives et ses projets. Au risque de la concurrence familiale, un palliatif est trouvé par le bouillant Georges qui fixe les règles d’un compromis : à lui la poésie et ses univers, à Laurice le monde de la prose sous la forme qui lui plaira, roman, récit, conte… « Comme il doit être difficile d’être la sœur d’un poète, quand on est soi-même écrivain ! » Ce constat de Pierre Seghers, cité par Albert Dichy, le spécialiste de Georges Schehadé à qui l’on doit ici beaucoup, en dit long sur le carcan que dut soulever la jeune femme pour s’autoriser à aborder enfin, en 1952, les territoires circonvoisins du poème en prose avec son premier recueil, Le Temps est un voleur d’images. Mais gardons le fil : aucun ouvrage n’aurait peut-être été publié si Laurice n’avait un triste et beau jour de 1934 quitté le Liban.
Sa rencontre avec le marquis de Benzoni marque le principal tournant de sa vie. Non content de la séparer de ses proches, son mariage va lui imposer de prendre ses distances avec sa terre. Son mari, consul d’Italie rencontré à Damas, l’emmène au hasard de son parcours diplomatique. En poste en Pologne, en Yougoslavie, à Rome où ses positions antifascistes le font rappeler, puis à Paris ses monuments, ses rencontres majeures, puis en Hongrie et, finalement, en Hollande. On comprend que l’œuvre de la marquise Benzoni soit tournée vers son pays et vers les siens, et que son œuvre, à la différence de la poésie de son frère Georges, trame la mémoire familiale dans une sorte de chronique nostalgique où se mêlent, cependant, moins de mélancolie que d’affection. « J’ai mal de t’avoir quitté, mal de vivre, pays de mûriers, de vignes, de ruisseaux secrets, semblances de Dieu, ma vallée heureuse. Morte j’irai à ta recherche, dans un sac de pauvre, un peu de terre et d’eau, le pain de tes promesses. Et l’on dira : cette femme au loin, il n’y a d’ombre nulle part pour elle ».
Toujours en proses très poétiques, Laurice-Anne fut donc publiée à partir de 1947, à la suite de son installation parisienne et sur la pression de ses amis Jacques Maritain, Julien Green et Charles-Albert Cingria. GLM, l’éditeur de la rue Huyghens, dans le XIVe arrondissement de Paris, qui publia tant Char, Eluard, Breton et… Georges Schehadé trouva tout naturel d’avoir donné à la sœur du poète ses chances et à son Journal d’Anne Anne est son second prénom. Il y prit goût et réitéra assidûment l’expérience, puisque c’est elle qu’il publia le plus souvent avec La Fille royale et blanche, Fleurs de chardon, Portes disparues, Jardins d’orangers amers, Le Batelier du vent, J’ai donné au silence ta voix, Du ruisseau de l’aube… Huit plaquettes virent le jour entre 1947 et 1962, date de la publication du récapitulatif Livre d’Anne. Avec un peu d’obstination, on pourra l’obtenir à Beyrouth, au siège des éditions Dar An-Nahar, au cœur du volume collectif intitulé Les Livres d’Anne où il fut repris en 1999 en même temps que le Journal d’Anne et le Récit d’Anne.
Plus accessibles aux lecteurs d’aujourd’hui peut-être, Les Grandes Horloges ont paru en 1961 chez Julliard. Sous la forme d’un roman intimiste, Laurice Schehadé y poursuivait sa recomposition existentielle d’exilée perpétuelle. Bien sûr, on peine à distinguer dans ce livre ce qui fait la part de la poésie et de la prose tant la simplicité de son port de phrase s’accompagne de grâces renouvelées, d’un brin d’exotisme aérien et d’un souhait assumé de la pureté. La marquise Laurice-Anne Schehadé Benzoni, « intime avec les anges, coquette avec le Seigneur », a livré à la fuite du temps et à l’enfance perdue toute son œuvre et consacré au Liban (J.-L. Meunier, 1984) tout son talent.

La sœur du poète Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°86 , septembre 2007.
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