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Zoom Tentatives d’évasion

octobre 2007 | Le Matricule des Anges n°87 | par Lise Beninca

Entre parodie de guide touristique et pamphlet satirique, Emily King nous trimballe sans ménagements dans une expédition au Japon. Avec une énergie salutaire.

Watashi Tachi : Nous au Japon

Cela se présente un peu comme un Guide bleu, ou vert, sauf que la couverture est turquoise, avec au milieu, minuscule, l’île du Japon que surplombe l’étrange titre du livre : Watashi Tachi, Nous au Japon. Le sommaire ne nous détrompe pas, il égrène les étapes du voyage : « Mise en route », « Tokyo/Panorama », « Hokkaido la septentrionale » ou « Okinawa et les îles du Sud-Ouest ». Parés pour un petit séjour touristique ? Le moteur en sera le cynisme effronté d’Emily King, 28 ans, qui signe là son premier livre et n’y va pas de main morte. Elle nous propulse aussitôt dans l’aventure, puisque son narrateur est un « nous » qui représente aussi bien un « je » interchangeable que le reflet d’une génération, un miroir tendu au lecteur.
« Nous avons toujours rêvé d’aller au Japon car nous aimons la culture japonaise, nous sommes fans. » Le ton est donné : le style est emprunté au zapping et l’humeur à l’auto-dérision. Au premier chapitre nous atterrissons, sac au dos, touristes ahuris parachutés dans une culture à laquelle nous ne comprenons rien, mais que nous nous empressons de lire à travers le prisme de notre propre culture ; tout en mettant, il est vrai, plein de bonne volonté à goûter les plats locaux les moins appétissants et à nous imprégner de l’authentique ambiance des lieux. « Nous nous déplaçons en stop, c’est moins cher, c’est mieux pour les rencontres, nous voulons rencontrer les Japonais du Japon. Pas seulement des go-go-gadgeto-flash touristes ou des épouses Vuitton, nous voulons dépasser le stade I des familiarités, nous voulons le Japon Live. »
Le « nous » d’Emily King, c’est « celui d’individus confus, déconnectés, paumés, « désespérés et en même temps plein d’espoir », désinformés, mal équipés en pensée, voire ignorants… » Pourquoi le Japon ?, ose-t-on lui demander. Elle explique que l’écriture du livre s’est imposée d’elle-même suite à un séjour de trois mois dans ce pays, mais qu’évidemment ça aurait pu être n’importe quel autre. Le sujet n’est pas dans la destination du voyage, mais dans ce « nous » qui se prend pour un globe-trotter et n’est qu’un « petit-bourgeois planétaire ». C’est bien connu, même à l’autre bout du monde, planté en haut d’une des immenses tours de Tokyo, on a toujours les mêmes filtres collés devant les yeux. Et on consomme ce qu’il y a à consommer. Les paysages, les denrées exotiques, les filles « sapées comme des Polly Pocket ». On est largués, il faut bien le dire. Et le pire c’est qu’on l’était déjà avant de partir.
Emily King se sert du Japon comme d’un bain révélateur dans lequel nous tremper. Elle ne prétend rien dire ou apprendre sur les Japonais ou la culture japonaise. Juste nous renvoyer une image de nous-mêmes, exacerbée du fait du contraste, du choc des fonctionnements et des modes de pensée. Il ne s’agit pas non plus de pointer du doigt les différences culturelles, mais plutôt nos attitudes et nos « poses », tout ce qui nous conditionne et que nous emportons partout avec nous.
Sous sa causticité et son air désabusé, le livre dégage une énergie violente, bouillonnante, qui transparaît dans le style imagé, vif et sec, gonflé d’informations. C’est qu’il y a la volonté de tendre le doigt vers le panneau sortie. « Autant de cynisme à 28 ans, ça fout les boules, ce n’est pas « cool » du tout » commente l’auteur, « mais l’idée de continuer à l’être, de vieillir et crever cyniques ensemble est autrement plus inquiétante. Je ne suis pas la seule, et pas seulement dans ma génération, à lire trop souvent trop vite le monde avec des super lunettes griffées cyniques en pensant que je l’ai compris et que c’est fort ».
Watashi Tachi est un livre qui remue dans tous les sens, qui fait rire et grincer des dents, et que son auteur décrit, « selon l’expression-titre de Sloterdijk, comme un « essai d’intoxication volontaire », l’idée selon laquelle, pour faire un diagnostic de son époque, il faut d’une certaine façon en être intoxiqué. C’est un récit qui, je l’espère, réfléchit en avançant. Une première tentative pour commencer à s’équiper un peu mieux qu’en Lonely Planet pour déchiffrer le monde dans lequel nous vivons ». Le texte est abreuvé de citations, de références et de détournements, pour une écriture qui cherche à se réapproprier des données échappées de « ce grand bazar de formules » dans lequel nous sommes plongés en continu. « À force de tomber sur des propos, des fragments de fragments de concepts, des phrases sans queue ni tête, ou qui broient, digèrent, recrachent engluées la moindre amorce de pensée, on a envie de réarmer immédiatement, de parer aux inepties inscrites sur le moindre t-shirt par une phrase opérante, quelque chose qui résonne vraiment, qui explose de sens en soi pour nous permettre de continuer à tenir debout dans la mélasse. » Lorsqu’on lui demande ce qu’est sa vie en dehors de l’écriture, Emily King répond de manière énigmatique qu’elle la gagne à coups de « missions temporaires diverses ». Elle compte bien continuer à affirmer et affiner sa pensée, lui faire gagner en intensité… La suite du voyage promet d’être mouvementée !

Watashi Tachi
Nous au Japon

Emily King
Ère
128 pages, 13
(en librairie
le 12 octobre)

Tentatives d’évasion Par Lise Beninca
Le Matricule des Anges n°87 , octobre 2007.
LMDA papier n°87
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