William Carlos Williams, né en 1883 dans le New Jersey, est le père de ce que l’on appelle l’objectivisme. Il affirmera, en réaction à la publication en 1922 de The Waste Land d’Eliot, qui lui fit « l’impression d’être frappé dans le dos par une balle sournoise », que « le but du poète (est d’) inventer un objet qui exprime harmonieusement son époque. C’est ce que nous voulions dire par objectivisme, antidote,
en un sens, de l’image nue présentée au hasard dans une texture lâche ». Les deux livres ici rassemblés, Asphodèle (1954) et l’ultime Tableaux d’après Brueguel (1962) concentrent cet art si fin de noter l’empreinte indélébile que les choses vues font sur nos yeux, comme dans nos mémoires. « Asphodèle », dédié à sa femme Flossie, s’inscrit dans la tradition du chant d’amour, mais en le tournant vers une simplicité d’énonciation nouvelle. WCW touche là une sobriété qui donne à son livre la force de tout nommer, la mort des laissés-pour-compte de la société, le bruit du chèvrefeuille, le passage d’un bus, la terre dévastée (pétrole),
la bombe atomique… Le « Livre III », bouleversant, narre l’arrivée d’une vieille personne au chapeau de feutre marron clair, chemise au col sale, serviette de cuir usé, en un plan d’écriture cinématographique (Cassavetes) où WCW croit voir son père. Sans aucun doute la partie la plus forte d’Asphodèle. Les Tableaux d’après Brueghel, eux, condensent les souvenirs de son voyage à Vienne en 24. Ils décrivent, en une forme brève et ramassée, attitudes et mouvements des corps, physionomies paysannes et autres du peintre flamand, tel cet homme aux « poignets délicats (…)/ qui/ jamais ne fut un/ travailleur manuel pas rasé sa// barbe blonde mal taillée/ pas de temps à per-/ dre il faut peindre ». La question se renversant encore vers ce que doit peindre l’auteur de Paterson, on comprendra pourquoi le poème s’intitule « autoportrait » et définit toute la tâche de la modernité poétique de l’Amérique d’alors.
Asphodèle (suivi de) Tableaux d’après Brueguel et autres poèmes choisis de William Carlos Williams
Traduit de l’anglais et présenté par Alain Pailler, Points-poésie bilingue, 251 pages, 7,50 €
Poésie Écrire à vif
novembre 2007 | Le Matricule des Anges n°88
| par
Emmanuel Laugier
Un livre
Écrire à vif
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°88
, novembre 2007.