Riche idée que d’avoir réuni, sous l’emblème du labyrinthe, les textes de Roger Caillois sur l’art. Ne serait-ce que parce que son œuvre relève d’un ensemble labyrinthique (mais terriblement cohérent), et que sa propre vie (1913-1978) tient plus du dédale que de la ligne droite. Ancien surréaliste devenu académicien, inclassable, cultivant le paradoxe et le contre-pied, Roger Caillois - qui côtoya le petit monde du Grand Jeu, fonda avec Leiris et Bataille le Collège de sociologie, fut l’introducteur en France de la littérature sud-américaine, dirigea la collection « La Croix du Sud » (Gallimard) qui fit connaître Borges, Asturias, Carpentier, Paz, Sabato, Juan Rulfo… -, commença par étudier les hommes, leurs sociétés, leurs religions, leurs jeux, puis se prit de passion pour les insectes et l’univers minéral. Grammairien, cet esprit méthodique s’est intéressé à tout : les fêtes et les rêves, le sacré et le fantastique, les mythes et les masques, les pierres et les papillons. Attiré par le mystère des signes et les paradoxes, il ne cherche pas à les expliquer mais à les inclure dans un ensemble plus vaste. S’appuyant sur la table de classification des éléments de Mendeleïev, Caillois conçoit le monde comme un ensemble fini de reflets et d’échos où tout se croise et se répond. Sa démarche consiste à en déchiffrer la syntaxe, et à jeter des ponts entre les différents règnes, ce qu’il appelle science diagonale. On comprend alors tout l’intérêt du regard qu’il peut jeter sur les productions artistiques.
Regroupant des textes dont l’écriture s’échelonne de 1933 à 1978, Images du labyrinthe montre, au fil des images d’un musée personnel, comment la signification et la fonction de l’art ont changé. Pour Caillois, les œuvres artistiques relèvent d’un dédale de phénomènes ne recouvrant qu’une structure simple et close, et les images qui sortent de cet inépuisable labyrinthe, forment un monde qui trouve place dans la totalité indivise de l’univers. Comme aux cartes, dont on connaît les fonctions de divination et de jeu, c’est la donne qui change. « Dans la divination, l’interprète et le consultant affrontent deux totalités, celle des cartes, allégories du monde, et celle des événements infinis, inextricables d’une vie singulière ». De la même façon, l’artiste est également aux prises avec la totalité de l’univers et avec « le labyrinthe de son incommunicable, secrète et tâtonnante expérience ». Des objets surréalistes à Albert Dürer découvrant les formes essentielles de sa Mélancolie dans les lignes d’une agate, en passant par le fantastique comparé de Bosch et de Dali, c’est toujours le problème de savoir où commence, et où finit, l’art qu’explore à sa façon Roger Caillois. D’où son intérêt pour les beautés créées par la « nature artiste », et pour les parentés secrètes « entre les voies aveugles de la matière inerte et celles de la liberté et de l’imagination ». D’où son attachement à la figure du Bateleur, présente déjà chez Bosch, et qu’il retrouve à l’œuvre dans la façon dont Alechinsky joue - et se joue - des gestes de la création, figure qui trouve son apothéose chez Picasso, peignant ce que la nature ne saurait produire, s’acharnant à déconstruire les chefs-d’œuvre antérieurs et signant ainsi la mort de l’art et de la beauté au profit de l’innovation devenue valeur suprême. Une mort constamment à l’œuvre chez Caillois, qu’il s’agisse de la mort pétrifiée des pierres, de ce qui l’attire dans les « vanités » modernes de Jean Hélion, de l’attention qu’il porte à l’univers « frappé de stupeur et comme désaffecté » de Carzou, ou aux Femmes de Fenoza, « issues du bronze, et délestées : exaucées, élidées ; presque abolies ». Expression d’une hantise personnelle ou inéluctable destin de l’art, tel que l’envisageait Malraux, ou tel qu’il l’imagine quand, œuvres et musées disparus, ne demeureront que « les pierres dont les lignes et les formes avaient inspiré jadis quelques rêveries pour peintre ».
Images
du labyrinthe
Roger Caillois
Édition établie
et présentée par
Stéphane Massonet
Gallimard
190 pages, 13,90 €
Arts et lettres Le regard diagonal
mars 2008 | Le Matricule des Anges n°91
| par
Richard Blin
Retrouver des formes sous la forme, ou la poétique généralisée de Roger Caillois appliquée à l’art. Des étincelles de poésie sèche dans un style de cristal.
Un livre
Le regard diagonal
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°91
, mars 2008.