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Essais Les années vives

avril 2008 | Le Matricule des Anges n°92 | par Thierry Cecille

68 : Une histoire collective, 1962-1981

C’était un temps déraisonnable «  : la dialectique des marxistes se mariait au surréalisme des situs, les étudiants en sociologie allaient rejoindre les prolétaires à la sortie des usines, l’essence venait à manquer et l’on se demandait, les uns avec angoisse les autres en une sorte d’orgasme révolutionnaire, si le Général, parti rejoindre Massu en Allemagne, allait démissionner ou revenir avec les chars. Puis l’effervescence des mois de mai et juin passée, alors qu’une fois de plus le » piège à cons « des élections semblait avoir fonctionné et que l’ordre régnait de nouveau sur Paris, les luttes, pourtant, allaient continuer. Près de neuf cents pages sont bien nécessaires pour rendre compte de cette épopée collective et des trajets plus individuels qui s’y jouèrent, en ces années où » le fond de l’air était rouge ".
La construction même de l’ouvrage tente de coïncider avec la configuration rhizomatique des combats d’alors, mais a également l’ambition de réinscrire ces deux mois, auxquels on limite souvent 68, dans une durée plus longue. Les quatre parties, en effet, nous conduisent de 1962 à 1981 : si mai et juin 68 constituent bien « l’épicentre », c’est de 1962 à 1968 que s’est construit « le champ des possibles », c’est de 1968 à 1974 que l’on persistera à vouloir « changer le monde et changer sa vie », puis, de 1974 à 1981, ce sera « le début de la fin ». Chacune de ces parties s’organise selon le même plan : un « récit » retrace d’abord chacune de ces périodes, les forces et les enjeux qui s’y sont déployés, puis s’ouvrent des chemins de traverse : films, objets, acteurs, lieux… Des dizaines d’études plus partielles, prises en charge par des historiens ou des sociologues, constituent une sorte de panorama, selon des angles variés, de tous ceux qui, alors, prirent la parole ou brandirent des pancartes, réinventèrent la résistance au pouvoir, les utopies de la liberté et de l’égalité, repensèrent la femme, la sexualité, le corps, la famille ou l’éducation. C’est ce foisonnement de propositions - parfois brouillonnes, parfois délirantes, et revendiquées comme telles - qui force notre admiration : partout, effectivement, l’imagination tentait de prendre le pouvoir. Il ne s’agit pas seulement, comme on s’en contente trop souvent, de suivre les vedettes de 68, les Cohn-Bendit, Geismar, July et consorts. Alors que Virginie Linhart1, par exemple, tentant d’approcher le secret de son père, Robert Linhart, dirigeant maoïste de l’UJC(ml) puis auteur célèbre de L’Etabli, va à la rencontre des enfants de ces acteurs célèbres (parfois autocélébrés) et ne parvient qu’à recueillir d’assez fades souvenirs, Phillipe Artières et son équipe nous font ressentir le flux mobile, revivre le bouillonnement vif de ces années.
La consultation des archives de la « répression », de la DGSE, des services préfectoraux, des Mémoires des principaux responsables politiques, permet ainsi de nous replonger dans le quotidien des luttes : du conflit de Neyrpic à Grenoble, entre janvier 1963 et juin 1964, jusqu’à ceux qui, à Longwy et Denain, sonnèrent, en 1979, le glas, à la fois, de la sidérurgie lorraine et de « l’insubordination ouvrière », nous voyons à l’œuvre la volonté - parfois violente, parfois illégale - de ne pas se satisfaire du statu quo, de tout mettre en œuvre pour renverser la vieille malédiction de la sujétion au patronat, d’inventer de nouvelles formes de partage de la production et des richesses. De même (il est impossible d’aborder, ni même d’esquisser, tous les thèmes traités), des échappées vers l’ « ailleurs » nous remettent en mémoire le Mouvement des droits civiques aux États-Unis, la contestation étudiante au Mexique, les « pieds-rouges », Français s’installant en Algérie pour aider la nouvelle nation indépendante, ou encore la Pologne de Solidarnosc.
Les modifications du paysage idéologique et intellectuel2 donnent également lieu à des passionnantes mises au point : nous (re)découvrons les provocations prophétiques des situationnistes autour de Debord, les diagnostics aigus de la revue Socialisme et Barbarie, nous assistons au passage de relais de l’ « intellectuel universel » à « l’intellectuel spécifique », de Sartre à Foucault - avant que ne l’emportent les auto-proclamés « nouveaux philosophes », devenus depuis intellectuels médiatiques, ultralibéraux et atlantistes.
Bien sûr, il y eut aussi des morts et des deuils, de Pierre Overney, assassiné par un vigile de Renault-Billancourt, à Allende, assiégé dans son palais de la Moneda - mais l’on retiendra surtout la formidable énergie de ces temps (qui ne reviendront plus ?) où se révélèrent « l’extrême criticabilité des choses » et « la friabilité générale des sols » (Foucault).

1 Le Jour où mon père s’est tu (Le Seuil)
2 Signalons également la parution d’Écrire, Mai 68 (Argol), avec d’intéressantes contributions, en particulier, de Bernard Noël, Christian Prigent, Leslie Kaplan ou encore Dominique Viart

68, une histoire
collective (1962-1981)

Sous la direction
de Philippe ArtiÈres
et Michelle
Zancarini-Fournel
La Découverte
847 pages, 28

Les années vives Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°92 , avril 2008.
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