Graphes, cartes et arbres

Editions Prairies ordinaires
Dans le rude et parfois inquiétant paysage éditorial d’aujourd’hui, il subsiste pourtant quelques îlots de résistance : Les Prairies ordinaires, depuis quelques années, est de ceux-là. Parmi ses collections, « Penser/Classer » se propose de traduire des essais, souvent assez courts mais d’autant plus incisifs et roboratifs, d’universitaires américains, indiens, ou, comme ici, italiens (Moretti, cependant, enseigne à Stanford). À la croisée de problématiques intellectuelles et politiques, ce sont là des pensées critiques qui, à l’instar de Foucault, composent des sortes de boîtes à outils pour affronter la complexité de notre monde. Sous ce titre énigmatique, Moretti nous propose ainsi des « modèles abstraits pour une autre histoire de la littérature ». Le but est de parvenir à voir la littérature « de loin », avec un autre objectif que celui de l’habituelle lecture rapprochée (entre sémiologie et stylistique), de remplacer, en quelque sorte, les gros plans par des plans d’ensemble. Il s’agirait ici d’une sorte de sociologie diachronique de la littérature (contradiction dans les termes ?) qui permettrait d’esquisser une histoire des formes en tant qu’elles répondent à et créent en retour leur horizon d’attente. Esquisses seulement, il l’admet, avec les nombreux exemples qu’il donne ici : un graphe établissant la succession des sous-genres romanesques en Angleterre entre 1760 et 1850, une carte montrant les lieux de résidence de certains personnages parisiens et les objets de leur désir d’ascension sociale, ou encore des arbres permettant d’expliquer les points de convergence et de divergence autour de certains outils littéraires (ainsi du style indirect libre ou du monologue intérieur), etc. Ce sont bien là des chantiers ouverts, de nouvelles enquêtes pour tenter d’établir « le canevas secret de l’histoire littéraire ».
Graphes, cartes et arbres de Franco Moretti
Traduit de l’anglais par Etienne Dobenesque
Les Prairies ordinaires, 142 pages, 12 €