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Choses vues Disparitions

mai 2008 | Le Matricule des Anges n°93 | par Dominique Fabre

J’ai perdu mon carnet d’adresse dimanche dernier. J’ai jamais aimé les dimanches mais ce n’est pas une raison. Il y a quelques semaines j’avais déjà perdu mes clés. Après tout ces choses-là arrivent. Je pourrais toujours demander une révision générale à la Sécu pour voir ce qui me guette ? Y a-t-il péril en la demeure ou bien je suis seulement distrait ? Ça m’a mis le gros bourdon de perdre mon carnet. Les adresses et les numéros de téléphone je pourrais les retrouver à peu près tous mais dans le tas, des gens auront disparu pour moi, peut-être qu’ils ne me rappelleront plus ? Je ne veux même pas l’imaginer. J’ai retourné les choses chez moi, les feuilles les unes après les autres, les factures, les enveloppes vides et pleines, des trucs qu’on veut jeter plus tard et se sont débrouillés pour rester empilés chez moi des années. Rien à faire. Je vais peut-être tomber dessus sans faire exprès ? On a de bien petits soucis parfois. On a beau faire, ça reste souvent petit format.

En haut de ma rue la maison des femmes a cramé. Sur les murs de cet immeuble vétuste il y avait les mots femme, espoir, enfance, peints en vert et en rose aussi. Elles ont toutes dû sortir fissa, sur le trottoir certaines pleuraient. C’était un accueil d’urgence pour celles qui viennent avec la peur au ventre et aussi des enfants en bas âge, évidemment. Ils ont sorti la grande échelle, le feu avait pris en haut de ce vieil immeuble-là. C’est le plus ancien du pâté de maison alors j’espère qu’ils ne vont pas en profiter pour les envoyer plus loin, et qu’elles ne se fassent pas remarquer ? Ils ont sorti tous les débris, avec un ruban rouge autour sur le trottoir. En plus des literies, des commodes presque calcinées, il y avait des vêtements, deux jeans fantaisie, de la layette pour bébé et au sommet quelques culottes dont un string rouge. Pourquoi ont-ils déjà effacé les inscriptions sur le mur de cet immeuble ? Je me rappelle le mot espoir, en lettres vertes, juste à droite de la porte d’entrée. Sur un papier scotché à cette porte on leur donne rendez-vous dans une autre Halte, proche de la gare de Lyon. Enfant j’ai beaucoup fantasmé sur ces endroits. Ma famille habitait près d’un endroit grillagé aussi, au bout d’une impasse. C’était un asile de femmes, on l’appelait « l’impasse ». Dans le faux carnet d’adresse que je relis les yeux fermés je me souviens bien d’elles. Je les recroise souvent la nuit quand je n’arrive pas à dormir. Elles je n’ai pas peur de les perdre, jamais.

La semaine dernière j’ai attendu le PC2 avec un survivant de l’époque des chemises bariolées. La sienne était mauve avec des fleurettes blanches. Il souriait comme s’il avait des tonnes de raisons pour ça, il m’a demandé l’heure. Cela faisait longtemps qu’il n’était pas retourné à Paris. Il avait passé son enfance en banlieue et il avait bien bourlingué, il m’a dit en souriant, la vie passait trop vite. Il était resté parfois plus longtemps qu’il ne voulait dans des pays connus pour. Bref. En tout cas dans le bus il était un peu perdu. Il a cherché des yeux un bon moment le composteur. Il faisait son pèlerinage. Il avait plusieurs enfants. La plus âgée avait 31 ans et le petit, 18 mois. J’ai une vie bien remplie, il m’a dit, avec ce drôle de sourire. Il allait montrer des photos du petit dernier à la plus grande, elle ne voulait plus lui parler car il avait trop déconné quand elle était petite. Il voulait un peu réparer avant de repartir chez lui, il vivait en Sicile depuis deux ans. Il m’a souhaité bonne chance. Oui, pour toi aussi ! Quand je suis sorti il regardait les gens autour de lui franchement mais sans les gêner, en leur souriant comme un très gentil martien, ça m’a mis de bonne humeur de rencontrer ce bonhomme-là.

J’en avais besoin. Là où je travaille près de la place de La Nation on ne peut même pas rencontrer ses potes au café, à cause des cordons de flics pour les manifestations lycéennes. C’est une vraie souricière à lycéens, en fait, la place de La Nation. Mon pote était furieux comme pas permis d’être coincé dedans et il aboyait dans son portable : Dominiiiiiique, les flics ne veulent pas me laisser sortir ! Je suis coincé sur la plaaace ! Je lui ai dit de prendre un air très digne comme il a certains jours et il leur a montré en marchant d’un pas décidé et sans marquer d’arrêt sa carte de piscine, comme s’il était mandé pour résoudre le problème par le gouvernement. Ça a marché. Deux jours plus tard pour me rendre au Casto du cours de Vincennes en traversant la place je leur ai exhibé ma carte Vitale d’un air très important mais là, j’ai été refoulé. On n’a pas toujours du bol dans l’existence.

Giboulées. En me levant un de ces derniers matins j’ai vu un vrai bonhomme de neige sur le trottoir en face, et il y avait une carotte pour faire le nez. Il avait dû être fait la nuit ? Est-ce que j’avais halluciné ? J’ai bu mon café vite fait et je suis descendu à sept heures et quart exprès pour voir le bonhomme de plus près. Il y avait de la vraie neige sur les pare-brises, c’était une vraie carotte et de la vraie buée sortait de la bouche des passants. Quand je suis rentré du travail, au milieu de l’après-midi, le bonhomme avait disparu et les trottoirs étaient bien secs. Il n’y avait plus la carotte. Tout ça n’aurait duré que le temps d’une giboulée, comme la vie d’aventurier du bonhomme dans le PC2, à ce qu’il m’en a dit. Les arbres se sont remis au vert après. Matin ou soir c’est toujours aussi beau, le printemps.

Disparitions Par Dominique Fabre
Le Matricule des Anges n°93 , mai 2008.
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