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Domaine étranger Face au rire de l’abîme

mai 2008 | Le Matricule des Anges n°93 | par Etienne Leterrier-Grimal

Dans son nouveau recueil de nouvelles, Enrique Vila-Matas explore, en toute ironie, les abîmes conjugués de l’existence et de l’écriture, et où le vertige des échelles le dispute aux symboles.

Au commencement de l’écriture il y a cette phrase d’un conte hassidique de Kafka : « Loin d’ici, voilà mon but ! » Impératif auquel se soumettent à la fois Vila-Matas et ses personnages, embarqués dans la même quête hasardeuse qui les conduit tour à tour au café Kubista de Prague, au sommet du Licancabour chercher les âmes du monde, aux Açores dans l’île de Pico, à Barcelone, le long du paseo San Juan sur les traces des Shadows, ou à Malakoff, sur celles du sosie de Sophie Calle.
Exploration de l’abîme ? Certes, mais à condition qu’il soit permis de la chercher partout et en tout, que celle-ci permette en même temps toutes les digressions littéraires, l’humour métaphysique, les anecdotes ramassées en chemin. Et pourvu enfin que l’abîme s’avère être une réalité pleine, bruissante du monde, et non son néant. C’est dans ce but que Vila-Matas multiplie dans Explorateurs de l’abîme les genres et les tons : récit intime, conte fantastique, nouvelle métaphysique, science-fiction, utopie…
Dans cette recherche de signification qui adopte tous les angles de vue et fait varier les perspectives sur le monde, Vila-Matas fait preuve d’une ambition à peine réfrénée de totalité, à la façon des cubistes pragois qu’il affectionne. Son écriture semble quant à elle sujette à un fantasme cosmique qui la verrait régner en maîtresse sur toutes choses. Car cet abîme que l’écriture explore, c’est l’abîme de soi, de l’univers, de la création. Abîme rendu donc éminemment intime, et que l’écriture veut cerner au plus près.
C’est en cherchant les causes premières des choses, que Vila-Matas retrouve la signification du « branloir pérenne » de Montaigne et identifie le rire comme moteur premier du monde : « l’humour est la véritable essence du cosmos et de ce qu’il y a très au-delà de celui-ci. Je l’ai découvert grâce à mon voyage pionnier vers le néant et j’ose croire que cela fait de moi un découvreur dans la lignée des meilleurs de l’histoire. La seule essence de l’univers est son propre humour, ce flux ou humeur du cosmos qui se répand même dans les ruelles latérales d’air éthéré les plus cachées (…) l’humour est le locataire éternel du vide ».
La nature a horreur du vide : Vila-Matas remplit donc celui-ci de rire. Albert apprend grâce à son poste de télévision l’existence de la matière obscure de l’univers et tente de convaincre son épouse de l’importance de sa découverte tandis que le narrateur, écoutant au mur, se prend pour Dieu. Ou alors c’est en cosmonaute, que Vila-Matas voyage à « trente milliards de verycycles de New York », et qu’il atterrit sur une planète blanche cachée parmi les étoiles, « capitale universelle de l’humour, sûrement au centre névralgique du rire général du cosmos ».
Mais Vila-Matas n’est pas qu’un simple explorateur. Une fois cette cause première du rire mise au jour, il cherche à en manifester la présence en tout. Avec une manie baroque, il fait donc de l’exploration de l’abîme un labyrinthe de mises en abyme, un système d’emboîtement de récits et de correspondance de signes où le vertige des échelles le dispute aux symboles. « Au centre de la fête, il y a du vide/ mais [qu’]au centre du vide, il y a une autre fête », écrivait le poète argentin Roberto Juarroz. Chez Vila-Matas, « Le voyage de Rita Malu », courte nouvelle déclinant le thème du double devient à son tour le personnage principal d’un échange de courrier électronique entre Vila-Matas et l’artiste Sophie Calle. Des neiges du Licancabour au chanteur des Shadows que guette à Barcelone un enfant prénommé Illuminé, chaque nouvelle apporte à l’exploration son lot signifiant de lumière et de couleur dans une opposition permanente entre le néant et l’être, le blanc et le noir, la lumière et l’ombre. Tout viendrait, d’après l’auteur, de deux vers (faussement) attribués à Vladimir Holan : « obscure la noirceur du marbre dans la neige ». Gare au lecteur trop confiant toutefois : comme Borges, Vila-Matas affectionne les labyrinthes.
« Discrétion, géométrie, élégance et calme » : Vila-Matas revendique ce blason de sobriété. Dans Explorateurs de l’abîme, il donne en effet la pleine mesure de la subtilité de sa prose, en particulier de l’élégance de sa voix narrative. Ironique souvent, elle est à l’image de son auteur, érudite et badine. Vila-Matas sait distiller les nuances de l’intention dans la phrase, et mélanger dans son écriture la monnaie de singe stylistique et les vraies trouvailles. La préciosité quasi parodique (« la neige (…) offrait des éclats propres à son énigmatique génialité et réussissait dans sa radicale solitude à resplendir comme jamais ») le dispute sans cesse à la plus sobre des concisions. Un style somme toute à l’image de l’idée, tant il est vrai pour Vila-Matas que si le rire est le premier moteur de l’univers, il l’est aussi de l’écriture.

Explorateurs de l’abîme
Enrique Vila-Matas
Traduit de l’espagnol par André Gabastou
Christian Bourgois, 304 pages, 23

Face au rire de l’abîme Par Etienne Leterrier-Grimal
Le Matricule des Anges n°93 , mai 2008.
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