Mêlant prose et vers, ciel de draps froissés et soie changeante des sentiments, le nouveau recueil de Gérard Cartier a été composé entre la longue traversée du Hasard (Obsidiane, 2004) et l’écriture d’une version, encore inédite, de Tristan et Iseult. Beaucoup plus intimiste que Le Désert et le Monde (Poésie/Flammarion, 1977), il décline, à l’imparfait d’un temps révolu, un art d’écrire à des souvenirs d’un autre siècle. Et peu à peu c’est une sorte de grammaire d’un art d’aimer qui prend forme, l’essentiel singulier trouvant reflets dans les plus belles pages des poèmes de Tristan et Iseult ou de son équivalent oriental qu’est la légende de Majnûn et Laylâ.
Porté par le feu du vin ancien et par un désir intact d’émerveillement, autant que supplicié par les rigueurs d’astre noir de la méditation, le volume s’organise en trois parties scandées par deux pages blanches, l’une formant césure centrale, et ouvrant une sorte de parenthèse se refermant à l’avant-dernière page. Trois âges – sous-titrés La ville, L’origine, Le jardin – comme autant de lieux arpentés, revisités par un « Je » se voulant « le dernier des apprentis de Bashô : Les cigales vont mourir Mais leur cri n’en dit rien », et cherchant à ordonner les figures du passé à celles de sa faim d’aujourd’hui. Une matière-émotion (René Char) que Gérard Cartier rend palpable avec ses tensions, son trouble, ses asymétries et sa topographie. Menant le deuil de la splendeur passée, alliant pauses et ellipses aux mots qui scrutent, interrogent, mesurent, l’écriture participe de l’élan amoureux d’une parole qui tente de reconduire au vivant les rythmes et les figures du désir. Des premiers temps de l’amour qu’accompagnait la cloche du petit séminaire à aujourd’hui où « rien ni la chambre ni le ciel n’est plus », c’est à une tentative d’hypnose de ce qui reste vivant que se livre Gérard Cartier. Avec l’intelligence du cœur et un sens vrai de l’affect.
Le Petit Séminaire
Gérard Cartier
Poésie/Flammarion, 208 pages, 18 €
Poésie Effeuillement d’ombres
mai 2008 | Le Matricule des Anges n°93
| par
Richard Blin
Un livre
Effeuillement d’ombres
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°93
, mai 2008.