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Égarés, oubliés Sans son corps

juin 2008 | Le Matricule des Anges n°94 | par Éric Dussert

Victime d’un siècle barbare, Leo Lipski fut aussi condamné par son propre corps. Hémiplégique, il a laissé le curieux rapport d’autopsie d’une ère dramatique.

Parfois considéré comme un conte fantastique, Piotrus (1960), fantaisie macabre et baroque valut à Leo Lipski une immense reconnaissance. Parmi les jeunes écrivains expérimentateurs d’abord, puis au sein de la grande nation des lecteurs sans barrière. S’il est retombé dans l’oubli, cette espèce de brûlot métaphysique l’a rangé dans la lignée des grands Polonais du siècle dernier, aux côtés de Bruno Schültz et de Witold Grombowicz.
Si l’on s’arrête à l’anecdotique, Piotrus est l’histoire d’un gars très invalide ensablé à Tel-Aviv dont l’emploi consiste à occuper les waters d’une monstrueuse propriétaire aux fantasmes canins, afin que ses locataires ne puissent user à leur convenance des lieux d’aisance. Les coprophiles, engeance plus délicate qu’on veut bien le croire, se remémoreront avec délice de Jean-Luc Benoziglio le Cabinet portrait (Le Seuil, 1980) qu’encombrent également les encyclopédies, le bel Éloge de l’ombre de Junichiro Tanizaki (POF, 1977) « Le front négatif » de René de Solier (Bizarre, mars 1957) ou de Bienvenu Merino Diarrhée au Mexique (L’Atelier du Gué, 2007). La bibliographie des lieux est sans fin. Mais il faut des tripes et de l’estomac, c’est-à-dire assez d’audace et de courage, pour aborder les rives les plus communes de nos existences qui nous font nous saluer chaque matin par la sournoise évocation de nos allées aux waters.
Ex Oriente Lux, dit donc Piotrus, assis sur sa cuvette de même marque (Lux), torturé par le soleil qui traverse le fenestron, voué à l’examen sans fin de la décrépitude du monde, de son être et de son horizon. Pour ce fils d’Europe, brisé par l’histoire du heurt des Hommes, l’Orient ne fut pas le répit escompté. Né à Zurich le 10 juillet 1917, Leo Lipschütz, fils de la bourgeoisie cultivée de Cracovie perd sa mère durant sa prime enfance. Ses études sont apparemment aisées. Avant que d’entreprendre ses études de psychologie et de philosophie à l’université de sa ville, le lycéen Lispchütz s’est fait remarquer en signant dans la presse des critiques littéraires et musicales. Nous sommes au cœur des années 1930 : la furie nazie du pays voisin devient peu à peu perceptible. Leo Lipschütz, lorsqu’il sera devenu Lipski, relatera dans son roman Les Inquiets ce que son cercle d’amis, jeunes intellectuels en devenir, ressentait de menace. À juste titre : sa fiancée et son père seront assassinés par les nazis.
En 1939, pour échapper à leur sort, Leo Lipski se réfugie à Lwow, en Galicie orientale. Mais le 17 septembre suivant, les troupes russes envahissent ce territoire et le jeune homme fuit à nouveau. En 1940, il est arrêté par le NKVD. Il est immédiatement déporté dans un goulag de la province russe de Jaroslav dont les prisonniers sont affectés à la construction du canal Volga-Don. L’épreuve est terrible au point que, santé altérée, il est conduit dans un hôpital militaire où les malades baignent au sol dans leurs sanies. C’est, du reste, l’expérience que narre Le Jour et la nuit (1957), un récit où Leo Lipski parvient à recréer l’univers du goulag en des textes aussi brefs que coupants. Au sujet de son efficace épure, on évoqua Samuel Beckett. Plus tard, et à propos de Piotrus (1960) justement, on fit aussi référence à Kafka.
Devenu aide-infirmier après avoir servi de bûcheron, il parvient à s’échapper en intégrant les Brigades polonaises créées le 30 novembre 1941 grâce à l’intervention de Wladyslaw Sikorski du gouvernement polonais de Londres auprès du gouvernement soviétique. Quatre-vingt-seize mille hommes, dont le frère de Lipski, Stanislaw, sont de l’aventure. Lui, parvient à quitter l’URSS dans le 2e corps de cette armée qui fait route vers l’Iran. C’est pour lui le début de la fin puisqu’il contracte durant cette aventure un typhus qui le mènera de Charybde en Scylla. Tandis que son frère tombe en 1944 à Monte Cassino, il participe pour sa part à une longue dérive soldatesque à travers l’Asie mineure au terme de laquelle il parvient à rejoindre la Palestine et s’y installe sur la frontière qui sépare Tel-Aviv de Jaffa-la-Belle.
« C’est ainsi qu’a débuté une bien étrange période de ma vie » racontera-t-il dans Piotrus. Malade, Leo Lispki y gravira son Golgotha : manque d’argent, de soin, misère et maladie. Il connaît les hôpitaux et, à partir de 1945, victime d’une hémiplégie, ne quitte plus la chambre. Avant d’obtenir des dommages de guerre allemands, il vit de l’aide sociale. Il doit lutter contre la paralysie, fruit malfaisant des complications d’une méningite attrapée à Beyrouth où il était parti poursuivre ses études. Il marche avec une canne jusqu’aux années 1980 où la paralysie l’étreint tout à fait et le condamne à la claustration. Il meurt à Tel-Aviv le 7 juillet 1997. Son Piotrus reparaîtra en automne.

Sans son corps Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°94 , juin 2008.
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